Star Trek 11 : Un blockbuster n’ayant de Star Trek que le nom ! #2 Analyse

Date : 28 / 04 / 2009 à 00h10


Cliquer pour lire la partie 1 : résumé commenté

Le film de J.J. Abrams ne perpètre donc aucune véritable violation des canons grâce à l’astuce de la trame temporelle alternative — les quelques discordances canoniques évoquées ci-avant relevant plus du nitpicking que d’incohérences flagrantes. En ce sens, ce film est plus incohérent envers lui-même qu’envers l’univers Star Trek.

En revanche, comme le montre mon résumé commenté, ce film enchaîne en flux tendu une kyrielle d’invraisemblances, conduisant à un manque global de crédibilité. Et ce film pèche aussi et surtout par une pauvreté scénaristique et narrative, par une violation dramatique de l’esprit trekkien cultivé durant 40 ans, et accessoirement par des légèretés scientifiques indignes de l’habituelle rigueur trekkienne.

II - L’aspect scientifique, juste en passant


La science de Star Trek postulait dès l’origine une extrapolation des sciences physiques contemporaines — qui rappelons-le sont essentiellement prédictives -, dans le but de rendre possible les voyages interstellaires dans des délais raisonnables et sans dilatation temporelle significative entre référentiels. Résultant de la gravité artificielle — pierre angulaire de la science de Star Trek -, les concepts de subspace (espace distinct de l’espace normal au gradient variable et où c n’est plus la causalité) et de distorsion (manipulation et déplacement de l’espace), bien que non prédits par les modèles théoriques en vigueur (mais faisant l’objet de recherches scientifiques comme en a témoigné le projet B.P.P. de la N.A.S.A.), permettent de contourner les limites de l’expérience de Michelson-Morley et des transformations de Lorentz dans l’espace-temps de Minkowski sans jamais les violer pour autant, et assument donc la relativité restreinte, tout comme la téléportation trekkienne assume le principe d’incertitude d’Heisenberg.

Nombre d’anomalies spatiales et temporelles furent rencontrées aux gré des aventures trekkiennes sur quarante ans, mais aucune d’elle n’avait de lien avec les phénomènes spatiaux prédits par les sciences contemporaines, et leurs propriétés étaient en quelques sortes "libres de droits". Toutefois dès lors qu’il était question de phénomènes observés ou prédits par les sciences physiques, Star Trek s’est toujours employé à les respecter (formations des systèmes solaires, classes d’étoiles, gamma ray bursts, trous de vers, trous noirs, quasar…). Et dans la mesure où l’astrophysique a fait basculer les trous noirs de la théorie dans l’empirisme (au contraire des trous de vers et des trous blancs demeurés théoriques), Star Trek s’est alignée sur les plus éminents scientifiques contemporains (John Archibald Wheeler, Kip S. Thorne, Mike Morris, Miguel Alcubierre…) pour toujours veiller à parfaitement distinguer les trous noirs non traversables (Schwarzschild) des trous de vers traversables (Traversable wormholes et Morris-Thorne wormholes). De toute la franchise, seul l’épisode Star Trek Enterprise 02x09 Singularity (Anarchie sur l’Enterprise) avait véritablement figuré un trou noir, sa représentation fut fidèle (disque d’accrétion…), et la préoccupation de l’équipage était surtout de s’en approcher le moins possible.


Or le film de J.J. Abrams et sa BD prequelle ont fait régresser Star Trek à une époque très antérieure à sa création en 1964, à dire vrai jusqu’à l’ère des pulps, en ignorant toutes les résultantes de la relativité générale appliquées aux trous noirs (puits gravitationnel extrême auquel rien ne survit, vitesse de libération supérieure à la vitesse de la lumière dans le vide (c), disque d’accrétion, dilatation temporelle). Les trous noirs "abramsiens" se mettent à pleuvoir, sont générés d’une simple chiquenaude (une goutte de Red Matter), et se révèlent être autant de portes spatiotemporelles que les protagonistes traversent sans dommage (Spock et Nero) et dont les effets se limitent à une gravitation de proximité n’affectant même pas les astres voisins (Delta Vega). Leur figuration visuelle est elle-aussi un pied de nez à l’astrophysique, à croire que "trou noir" a été entendu par les auteurs de la façon la plus naïve et littérale possible (c’est à dire un "trou" dans l’espace qui est de couleur "noire", dérivant parfois vers le bleu d’ailleurs). Au point qu’en comparaison, le très médiocre film éponyme de Gary Nelson produit par Walt Disney en deviendrait presque crédible !

Difficile de ne pas avoir honte qu’un film de SF contemporain, portant de surcroît le label Star Trek, soit tombé scientifiquement aussi bas, et cela après le mémorable épisode Stargate SG-1 02x16 A Matter Of Time (Une question de temps) qui avait su prendre — il y a déjà une décennie — toute la mesure de ce qu’est véritablement un trou noir, en montrant quel exceptionnel tribut la SF audiovisuelle peut rendre aux sciences astrophysiques réelles sans jamais pour autant cesser d’être distrayante.


Autre invraisemblance scientifique, la supernova Hobus (à l’origine de la destruction de Romulus à la fin du 24ème siècle et de la soif de vengeance de Nero) que l’on présente comme sujette à une expansion infinie jusqu’à embraser tout la galaxie ! D’une part, cela revient à ignorer que l’explosion d’une supernova est un phénomène scientifiquement hautement prévisible des siècles à l’avance (de nos jours, donc a fortiori dans le futur ultra-scientifique du Trekverse). D’autre part, cela revient aussi à ignorer la considérable proportion de vide dans l’espace interstellaire. De tierce part, cela revient également ignorer qu’il existe un seuil de masse critique qui effondre les supernovae (et a fortiori les hypernovae) en trous noirs, rendant de ce fait sans objet toute l’opération (Jellyfish & Red Matter) de Spock au 24ème siècle (et donc le film de JJ Abrams qui en résulte) ! Que l’Empire romulien ait été endeuillé au 24ème siècle par Hobus renforce encore l’invraisemblance du postulat de départ, car l’immense degré de prédictivité de l’évolution d’une supernova ne saurait s’accorder avec la culture romulienne, qui n’est rien de moins que la plus prévoyante — voire la plus paranoïaque — de toute la franchise Star Trek. L’extermination de Romulus est donc injustifiable tant scientifiquement que sociologiquement (cf. Star Trek : Countdown). Et la seule "solution de rattrapage" (en terme de cohérence interne) impliquerait alors de considérer que Nero et Spock-Nimoy proviennent en réalité, non pas de la prime timeline d’ENT-TOS-TNG-DS9-VOY, mais d’une ligne temporelle bien distincte et inconnue (où les Romuliens auraient connu un tout autre destin) !

Il aurait finalement été très simple de nommer ces phénomènes différemment pour éviter de tels affronts directs aux acquis scientifiques. Mais à l’instar de tous les autres raccourcis pris par les auteurs, il était commercialement plus racoleur d’utiliser les dénominations "trou noir" et "supernova" quitte à ruiner la nécessaire suspension d’incrédulité de toute SF sérieuse.

Le saut orbital (space jump ou orbital skydive) — qualifié explicitement ainsi par les protagonistes — est en lui même une hérésie envers l’orbitographie, et cela témoigne d’une lecture particulièrement naïve des Lois de Kepler et des vitesses cosmiques de Konstantin Tsiolkovsky. Eu égard au silence spatial appuyé de la mise en scène et à la courbure de Vulcain au moment du saut, celui-ci s’effectue bien dans le film depuis l’orbite (à plusieurs centaines de km d’altitude) et non depuis la haute atmosphère. Dans le monde réel, le record est détenu par Joseph Kittinger qui a sauté d’une altitude de 31 km en 1960, et bientôt par le Français Michel Fournier depuis une altitude de 40 km. Mais dans les deux cas, ces sauts demeurent strictement atmosphériques car leurs points de départ sont sis dans la stratosphère. Ces parachutistes ne pratiquent donc aucune désorbitation ! Or la désorbitation consiste à pénétrer dans l’atmosphère au minimum à la vitesse de satellisation (28 500 km/h ou plus dans la cas terrestre) et avec l’assiette la plus réduite possible afin de négocier au mieux la considérable décélération qu’implique le stress du franchissement de la thermosphère (températures supérieures à 1 000°C), de la ligne de Karman, de la mésopause, et de la mésosphère ! Dans le film, c’est longtemps après que Kirk et Sulu ont sauté (ce n’est pas du temps réel) que Chekov finit par annoncer l’entrée dans l’atmosphère des "parachutistes" à une altitude de 20 km. Chekov révèle ainsi que la limite atmosphérique est beaucoup plus basse sur Vulcain que sur la Terre (les planètes ne sont pas identiques), mais ce faisant il confirme aussi que le point de départ du saut était orbital et impliquait une désorbitation, qui pratiquée à la verticale aurait dû faire subir aux trois "parachutistes" le sort des météorites ! Tout ça est d’autant plus absurde que des navettes étaient à disposition (et trois "parachutistes" sont aussi repérables par le puissant Narada qu’une navette)... La franchise avait déjà bien mis en scène un orbital skydiving dans Star Trek VOY 05x03 Extreme Risk (Risque extrême), mais ce n’était rien d’autre qu’un (dangereux) sport de holodeck. En outre, l’extrême difficulté d’atterrissage sur la plateforme de forage (que cela soit imputable au contexte, à l’enfoncement, au vent en haute altitude, ou à l’incompétence des protagonistes en techniques de précision) invalide encore un peu plus cette option tactique du film.


De la même manière, supposer qu’un vaisseau en orbite (le Narada) puisse déployer dans la basse atmosphère à la verticale d’un point fixe une structure (la foreuse) reliée à lui par un gros câble est d’une absurdité orbitographique totale ! C’est ignorer une fois de plus que la satellisation implique une vitesse considérable par rapport à n’importe quel point fixe à la surface de la planète.

L’ambition de forer — même au rayon à particules — jusqu’au noyau actif d’une planète est d’une naïveté consommée. Bien avant de l’atteindre, la foreuse créerait l’équivalent d’un supervolcan aux effets spectaculaires et écologiquement désastreux (ce que le film a bien entendu ignoré), a fortiori dans le cas d’une planète aussi volcanique que Vulcain. Par-delà ce phénomène qui compromettrait le forage, aucun conduit stable ne peut subsister entre le noyau actif et la surface en raison des différentiels de pression, de température, et de densité, invalidant de ce fait la prétention de Nero d’envoyer de cette façon une quelconque goutte de Red Matter jusqu’au centre de Vulcain (puis de la Terre).

Cette très improbable entreprise de forage n’a d’ailleurs en elle-même absolument aucune raison d’être, puisqu’il aurait suffit à Nero de créer à proximité de Vulcain — au moyen de la Red Matter — un trou noir abramsien qui aurait avalé la planète depuis son orbite aussi implacablement que depuis son centre. Le résultat aurait été le même, mais la méthode aurait été nettement plus crédible, plus discrète, plus rapide... Bien sûr, cela aurait privé le film de son vain spectacle...

Sur le terrain maintenant des sciences propres de Star Trek, la résolution du film et la victoire contre Nero ne tiennent pas un seul instant debout ! Les technologies usuelles de la franchise possèdent des caractéristiques et des critères d’application qui ont toujours été respectés durant 40 ans — sauf justification explicite. C’est précisément ce qui distingue la SF de la fantasy, et c’est la raison d’être du technobabble si critiqué. Or dans le film de JJ Abrams, les contraintes de téléportation ont été respectées en orbite de Vulcain (portée limitée à 40 000 km, impossibilité de se téléporter sauvagement au travers des boucliers du Narada, impossibilité de se téléporter à proximité de la plateforme de forage active...), ainsi que l’impossibilité de détruire la plateforme de forage ou son câble de soutènement (puisque qu’aucun vaisseau de Starfleet n’a cherché à le faire en dépit de l’absence de boucliers autorisant l’accès en parachute)... expliquant a priori l’impossibilité de sauver Vulcain. Mais aucune de ces contraintes n’aura ensuite été respectée en orbite de la Terre : téléportation Saturne-Terre sur un milliard de km explosant sans explication les limites de la portée maximale de 40 000 km, téléportation à travers les boucliers d’un vaisseau surpuissant venu du futur (Narada), absence de boucliers autour de la plateforme de forage et de son câble de soutènement autorisant la destruction du système de forage d’un seul tir sur son câble... Si le "transwarp beam" importé par Spock du futur a permis à Kirk et Scotty de se téléporter depuis la Delta Vega vulcaine sur l’USS Enterprise en distorsion, il faudrait ensuite croire — bien que précisé nulle par dans le script — qu’elle aura également ensuite permi de s’affranchir de toutes les contraintes usuelles de ce mode de transport trekkien. Ce serait donc grâce aux panacées de cette téléportation-miracle tombée à pic et de la soudaine extrême facilité de destruction de la foreuse que la Terre sera ainsi sauvée ! La présence d’un technobabble — si honni par tant de spectateurs — aurait peut-être justement permis d’expliquer que dans le cas de Vulcain toutes les contraintes technologiques aient dû être respectées, et que dans le cas de la Terre aucune n’aient eu besoin de l’être ! Mais en l’état, ce sont de toute évidence deux poids deux mesures, rendant soit le sauvetage de la Terre invraisemblable, soit l’extermination de Vulcain scénaristiquement gratuite et injustifiable.

Finalement, puisqu’il a été établi que le "trou noir abramsien" créé par la Red Matter fait ressortir intact dans le passé ce qu’il avale, comment se fait-il alors que la supernova Hobus ne soit pas ressortie de la même façon que le Narada et le Jellyfish, mais un peu avant eux pour menacer le 22ème ou le 23ème siècle comme elle avait menacé la fin du 24ème siècle ? Et selon la même logique, comment se fait-il que la planète Vulcain, ainsi que le Narada ne ressortent pas (même en morceaux) par exemple un siècle plus tôt ? Mêmes causes, mêmes conditions, mêmes effets, non ?


Bref, ce ne sont vraiment pas des cadeaux que Roberto Orci et Alex Kurtzman ont fait là à la crédibilité scientifique de Star Trek, qui — en dépit de ce que certains pensent — était beaucoup plus grande dans les milieux scientifiques que celles des autres SF audiovisuelles… au point de devenir l’une des cartes de visite de cet univers... jusqu’en 2005. Et avoir sollicité quelques pontes de la N.A.S.A. (comme Carolyn Porco) pour superviser l’imagerie spatiale du film (de Saturne notamment pour deux misérables seconde à l’écran) ne saurait constituer un quelconque alibi de crédibilité susceptible d’adouber les colossales inepties scientifiques du script.

Mais je ne m’étendrai pas plus sur ces questions, car comme le dit J.J. Abrams, Star Trek n’est pas une histoire de science et de technologie... au contraire de ce qu’osait avancer Stephen Hawking, apportant sa caution à la franchise au point d’y jouer son propre rôle dans le holodeck de l’Enterprise D (Star Trek TNG 06x26 Descent (Descente aux Enfers)). Mais c’était un autre temps, et un autre niveau d’exigence...

Venons-en donc à la vocation-même du film, qui est aussi hélas son plus gros problème.

III - Une violation non pas des canons mais de la crédibilité

Le manque de crédibilité tient à la politique de recyclage sans subtilité des classiques de la franchise, à la légèreté des mécanismes sociaux et comportementaux, et à l’inconséquence tonale des drames.


Je ne m’appesantirai pas sur l’interprétation, estimant lui avoir déjà accordé suffisamment d’importance dans la critique-dialogue et dans le résumé commenté. Quelles que soient les qualités de prestation de Chris Pine (théâtral et démonstratif comme pouvait l’être parfois William Shatner, jusqu’à le mimer sans retenue), de Karl Urban (aussi revêche que DeForest Kelley mais sans en avoir la chaleur humaine), et les efforts des autres acteurs — moins convaincants mais généralement honorables —, leurs caractérisations sont toutes desservies par des dialogues étiques et psychologiquement impropres ! Rien ne saurait plus opposer la maturité extraterrestre du Spock originel de l’instabilité émotionnelle du Spock nouveau, la pudeur discrète de l’Uhura originelle du charisme exhibitionniste de l’Uhura nouvelle, le décalage chauvin du Chekov originel du génie démonstratif du Chekov nouveau, le passéisme introverti du Pike originel de la prétention édificatrice du Pike nouveau, la spontanéité charmante du Scotty originel de la bouffonnerie polichinelle du Scotty nouveau… A vrai dire, Simon Pegg incarne même l’antithèse absolue du touchant Scotty ! Cette écriture et cette direction d’acteurs hasardeuses sont fort dommageables car il est évident que les comédiens ont fait tout leur possible pour simuler les personnages de Star Trek TOS...

Étant donné que J.J. Abrams et ses scénaristes n’ont cessé de se gargariser de l’alchimie des personnages de la série originale qui serait selon eux le seul composant de tout l’univers Star Trek méritant d’être préservé dans leur reboot, force est constater que cet objectif n’a pas du tout été atteint ! De la subtile alchimie inhérente aux personnages de Star Trek TOS, il ne reste au mieux dans le film de JJ Abrams qu’une forme superficielle de convivialité. Et cela suffira bien au public, car la "convivialité" est dans l’air du temps.


Mais la grande victime de l’indigence d’écriture du film est Eric Bana, bon acteur pourtant, mais dont le personnage n’est même pas un classique méchant bidimensionnel de blockbuster, mais carrément un méchant strictement monodimensionnel. Partageant quelques similitudes de forme avec Shinzon de Star Trek : Nemesis (de l’inclination à se faire représenter par son second jusqu’à l’irrationnelle obsession de vengeance, en passant par le crane rasé), Nero est pourtant bien loin d’en avoir la substance et la profondeur. Tout le ressort de son rôle se réduit à « je suis méchant parce que ! » & « je veux me venger parce que ! », et sa "méchanceté" est restituée essentiellement par un visuel comicsien (tatouages, grimaces, mimiques grossières), et une série de hurlements. Dans le palmarès des personnages dénués de tout intérêt, il n’en existe pas un seul dans tout l’univers canonique de Star Trek à être arrivé à la cheville de Nero. C’en est presque fascinant... si ce n’est que Nero et ses séides — tant par leur comportement asocial que par leur look moitié skinhead moitié punk — ont tellement peu de rapport avec des Romuliens qu’ils en profanent quarante ans de romulanité, une culture pourtant presque aussi importante pour Star Trek que la vulcanité.


La nouvelle trame temporelle peut donner l’impression de respecter quarante ans de canon. Mais c’est évincer bien complaisamment la Patrouille du Temps (Guardians of Time), non de Poul Anderson, mais de la Fédération du futur ! Depuis ses balbutiements au 24ème siècle dans Star Trek DS9 05x06 Trials And Tribble-ations (Épreuves et tribulations) (avec le département Temporal Investigations) jusqu’à sa toute puissance temporelle au 29ème siècle dans Star Trek Voyager 03x08 Future’s End (Un futur en danger) & Star Trek Voyager 05x24 Relativity (L’USS Relativity) puis au 31ème siècle dans Star Trek Enterprise (avec la Temporal Cold War), leurs interventions visibles & invisibles expliquaient que jamais la trame temporelle trekkienne ne soit définitivement ou durablement altérée ! Et cela avait notamment conduit à la formalisation en mécanique temporelle de l’audacieux Pogo Paradox. Or comment cette Patrouille du Temps a-t-elle pu permettre l’extermination de la quasi-totalité du peuple Vulcain, alors qu’elle résulte en fin de compte de la plus accidentelle & anodine des causalités temporelles (un lamentable psychopathe involontairement aspiré par un trou noir abramsien)... loin, très loin, de l’indicible complexité stratégique d’une guerre temporelle dont la Terre est pourtant parvenue à se sortir presque indemne un siècle avant (durant la série Enterprise) !? A croire que Vulcain est quantité totalement négligeable pour la timeline et pour l’avenir de la Fédération, et que tous les Temporal Special Agents chargés de préserver la timeline originelle et lutter contre les intrusions temporelles ont été licenciés par la Paramount en même temps que Rick Berman...

Une dizaine d’années avant Star Trek TOS, avant même que l’équipage de l’USS Enterprise ne soit formé, et de surcroit dans un univers parallèle totalement bouleversé, tous les personnages de Star Trek TOS interagissent déjà les uns avec les autres, et ils sont les seuls à occuper l’intégralité de leur espace d’évolution :
- les rencontres se font uniquement entre personnages de Star Trek TOS ;
- c’est Pike qui fait entrer Kirk dans Starfleet ;
- hormis Spock, tous les héros de la série originale (Kirk, McCoy, Sulu, Chekov, Uhura) sont comme par hasard de la même promotion de Starfleet Academy en dépit de leurs différences d’âges significatives ;
- tous les héros de la série originale (Kirk, Spock, McCoy, Sulu, Chekov, Uhura, et Pike) sont comme par hasard affecté au même vaisseau, l’USS Enterprise ;
- c’est Spock qui programme de Kobayashi Maru et dénonce la fraude de Kirk ;
- parmi six milliards de Vulcains, les héros de l’Enterprise sont les seuls à deviner et comprendre le plan de Nero ;
- Pike endure ici exactement ce que Chekov endurera dans Star Trek II : The Wrath Of Khan ;
- Spock et Sarek reproduisent au mot près leurs échanges les plus emblématiques de Star Trek TOS ;
- c’est avec Spock que Uhura a une relation sentimentale ;
- seuls Kirk et Spock partent en commando à la chasse au Romulien dans le gigantesque Narada ;
- Kirk tombe sur Spock-Nimoy dans un coin perdu d’un univers gigantesque par le plus improbable "hasard" ;
- le film s’achève par la composition de l’équipage de l’Enterprise à l’identique de Star Trek TOS, pourtant huit ans avant dans un univers méconnaissable ;
- comme Kirk ne naît finalement pas à Riverside dans l’Iowa, c’est un gigantesque chantier astro-naval de Starfleet qui y voit le jour, avec pour seule fonction narrative de rappeler Kirk à son "destin" et garantir ainsi sa vocation...


En somme, au mépris de la probabilité et de la crédibilité les plus élémentaires, l’univers entier semble avoir été fabriqué de toute pièce uniquement pour garantir la rencontre et les interactions entre les personnages cultes de Star Trek TOS, pour leur servir sur un plateau d’argent une destinée exceptionnelle, et pour être sauvé ensuite par eux en signe de reconnaissance. Par-delà les superpouvoirs qui ne sont finalement qu’une option, c’est bien par la hiérarchie outrancière d’aptitudes entre les phénix qui "save the day" et le reste de l’univers composé de crétins, et par la totale subordination d’un univers à ses personnages, que l’on définit les super-héros ou "élus du destin". C’est littéralement une scène de guignols dans un monde clos où tout est permis. Et un tel univers perd de ce fait toute vraisemblance et toute complexité.

Il en est de même avec les relations d’amitié, celles-là même que les auteurs et les critiques portent perpétuellement aux nues. Les derniers films de Star Trek TOS et un épisode comme Star Trek Voyager 03x02 Flashback
révélaient avec une immense vérité que la solidité et la profondeur des liens qui unissent les personnages de Star Trek TOS sont le fruit d’une vie d’épreuves communes. Que c’est à la faveur du vieillissement et des nombreuses expériences vécues ensemble sur le long terme — tout particulièrement celles mises en scènes dans Star Trek TOS et probablement d’autres aussi —, que les alchimies se sont développées, que les affections mutuelles sont nées. Et en effet, ces alchimies n’étaient pas présentes d’emblée dans les premiers épisodes de Star Trek TOS. La marque de vraisemblance à laquelle s’est attachée Star Trek TOS, Star Trek TAS et les six films qui ont suivi, résultait de n’avoir en fait jamais cherché à provoquer artificiellement de telles interactions, mais de les avoir laissé venir à la faveur des histoires racontées. C’est une distinction fondamentale.

Tout à l’opposé de cela, le film de J.J. Abrams tente en deux heures de prendre les raccourcis les plus grossiers pour faire naître ces amitiés à l’occasion de collaborations prétextes, bâclées et artificielles, là où il n’y a nul chemin naturel de vie, mais juste un cahier des charges à honorer. Résultat des courses, même si les caractérisations des personnages se rapprochent dans une certaine mesure de celles de Star Trek TOS, même si les interprétations de Chris Pine et de Karl Urban sont presque irréprochables, que Zachary Quinto fait ce qu’il peut, que Zoe Saldana est belle et charismatique, leurs introductions et leurs interactions respirent le chiqué. A l’instar de Spock et Sarek qui font autant évoluer leur relation en une heure et demie de film (correspondant à quelques jours maximum dans l’histoire) qu’en une vie entière dans l’univers originel, J.J. Abrams prétend résumer des interactions forgées par des années de vécu en moins d’un couple d’heures narré presque en temps réel !


Et c’est précisément l’une des facilités du film. Il a l’ambition de capturer en deux heures l’essentiel de Star Trek, et finalement il n’en restitue que des clichés et des slogans ! Faire interagir ainsi une "version jeune" de tous les personnages de la série originale tient de la pédagogie de patronage et de la parodie enfantine. Et prétendre mettre en scène en une paire d’heures quelque chose qui ne s’est jamais produit dans l’univers originel juste pour que l’on puisse dire à la fin : « ça y est, l’équipage est constitué », cela tient de le mystification qui ridiculise la vocation même de prequel.

Le film de J.J. Abrams n’a absolument rien apporté par lui-même, tant en matière de personnages, d’interactions, que de thématiques et de ressorts. Comme l’illustre mon résumé commenté, ce film se contente d’aligner ostentatoirement, non pas des références culturelles ou des clins d’yeux de connaisseurs, mais des emprunts grossiers — à la limite de la plagiat pour manque d’inspiration — aux plus estimables volets antérieurs de Star Trek, ainsi qu’à Star Wars (parce que c’est plus "cool" comme l’ont plus d’une fois asséné les auteurs). Et avec ces innombrables morceaux d’emprunts, le film réalise un patchwork, pour ne pas dire un collage façon Andy Warhol avec le Pop Art… évidemment sous le couvert bien pratique de l’hommage. Le film ne possède rien en propre (hormis bien sûr ses superbes CGI), tout le reste n’étant que pièces rapportées !


Ces "marques d’enracinement" font l’effet d’une quête de légitimité outrancière, comme s’il s’agissait de masquer par le zèle et l’excès la nature véritable du film. On s’approprie un maximum de propos antérieurs ultra-resucés que même le moins trekker des spectateurs connaît, histoire de convaincre tout le monde qu’il s’agit bien de Star Trek, et on a ainsi le champ libre pour faire du J.J. Abrams à la place…

Quant à la martialité, les auteurs semblent avoir totalement perdu de vue que Starfleet est une armée, et de surcroit l’armée d’une société très civilisée. Starfleet n’est ni une ONG, ni l’armée romaine, ni l’armée révolutionnaire d’un Far West cosmique, ni La Patrouille des Castors ! Elle repose sur des règlementations, des protocoles, et des préséances. On ne s’empare pas du poste de capitaine juste par ce que l’on est un cadet charismatique et qu’on s’appelle Kirk alors qu’il existe comme dans tout corps constitué un ordre de succession clairement établi.
L’on ne devient pas commandant en second suppléant d’un vaisseau lorsque l’on est encore cadet, même pour avoir fait montre d’une grande motivation ; l’on ne se fait pas directement promouvoir capitaine de vaisseau depuis le grade d’aspirant, même pour fait d’armes exceptionnel ; et l’on ne se fait pas confier à l’âge de 25 ans le commandement du vaisseau amiral de Starfleet et porte-drapeau de la Fédération, même pour un éminent acte de bravoure, même au nom de la bonne ambiance sur la passerelle et de l’alchimie boy-scout du groupe... Dans l’univers originel, tous les capitaines de Starfleet et la plupart de leurs subordonnés ont accompli de semblables actes de bravoure durant leur carrière, et cela ne leur valut aucune promotion-raccourci pour autant, pas même forcément de décoration. La promotion spectaculaire de Kirk en troisième année de Starfleet Academy n’est portée par aucun souci de vraisemblance, mais juste par la volonté de glorifier les personnages cultes de Star Trek TOS dans une société bâtie uniquement à leur usage. A croire que J.J. Abrams a pris pour modèle les quatre empereurs romains Galba, Othon, Vitellius, et Vespasien pour figurer l’investiture de l’imperator Kirk par acclamation générale…

Comment ne pas songer par opposition au réalisme militaire du Star Trek originel ? Par exemple dans l’épisode Star Trek DS9 06x04 Behind The Lines (Derrière les lignes) lorsque Miles O’Brien rappelait avec ironie au pourtant brillant et très prometteur cadet Nog affecté à l’USS Defiant que s’il prenait le commandement du vaisseau, cela signifierait qu’il n’y aurait plus personne d’autre à bord…


S’inscrivant dans l’effet de mode "jeunesse des héros" ou "comment la Dream Team s’est constituée" façon The Magnificent Seven (Les sept mercenaires), le film de J.J. Abrams pratique une infantilisation des lois causales et des relations humaines. Les amitiés comme les promotions militaires semblent relever du jeu où rien n’est vraiment sérieux, et l’ensemble sonne faux et parait artificiel. Kirk joue à être le capitaine, Spock joue à être vulcain, les héros jouent à Starfleet, les destins sont pipés, et l’univers est une maquette miniature. Le film prétend ainsi organiser des rencontres factices et forcées entre personnages de légende dans une émulation infantile aux accents de bac à sable. Cela révèle probablement le peu d’estime que les auteurs portent à un univers qu’ils perçoivent — consciemment ou pas — comme naïf et enfantin, estimant que les fans s’y reconnaîtront. Tout l’univers gravite autour des héros revisités, comme dans l’esprit d’un enfant qui se croit toujours au centre de l’univers… un univers de portée galactique qui se réduirait invariablement à un même petit cercle de potes. L’immensité spatiale n’est plus que la voûte prétexte — ornée de petites lumières clignotantes — d’un univers salle de gala, où les quelques VIP qui comptent ne sauraient faire autrement que de se croiser encore et encore…

Au mieux, ce film s’apparente à un prequel pour super-héros, qui aurait peut-être eu sa place dans les univers de DC ou de Marvel, mais surement pas dans celui de Star Trek.

Appelons donc les choses par leur nom, le Star Trek de J.J. Abrams est tout simplement… un Star Trek Babies, et rien de plus.

IV - Une violation non pas de la lettre mais de l’esprit


Parmi les nombreuses particularités de l’esprit Star Trek, il en est une plus exceptionnelle que d’autres : l’absence quasi-totale de manichéisme. Si la vocation première de Star Trek est l’exploration et non l’affrontement, il arrive parfois au gré des époques et des séries de la franchise que les protagonistes soient confrontés à des périls. Mais ceux-ci relèvent toujours de divergences d’intérêt ou d’idéologie, d’incompréhensions ou d’incompatibilités d’entendement, de lois physiques ou naturelles (forces, prédations…) qui ne peuvent se mesurer sur l’échelle du bien et du mal.

Les films Star Trek — au contraire des séries — ont parfois assujetti cette spécificité trekkienne aux lois du marché par l’introduction de "méchants", mais ceux-ci s’avéraient toujours suffisamment complexes et tridimensionnels pour susciter à la fois empathie et distanciation, et éviter l’opposition ultra-galvaudée "gentils" versus "méchants".

Star Trek est l’un des très rares univers de la SF à ne pas connaître intrinsèquement et ontologiquement les notions de "bien" & de "mal". Il est de ce fait épargné par le concept totalitaire et paupérisant de mal platonicien, et il laisse ainsi une place au trop rare mal aristotélicien qui caractérise foncièrement l’esprit trekkien. Mais le film de J.J. Abrams aura commodément ignoré cette spécificité trekkienne pour lui préférer le niveau zéro de la SF : la mise en scène d’un combat stérile et manichéen entre les "gentils héros" et une parodie de "méchant absolu" aux motivations auto-alimentées.


En multipliant les coïncidences les plus invraisemblables pour garantir la rencontre et l’amitié d’un noyau de sept personnes dans un univers pourtant bouleversé et orphelin de six milliards de Vulcains, le film de J.J. Abrams suggère — sciemment ou pas — un messianisme prophétique voire l’existence d’une force invisible gardienne des destinées, qui protégerait et guiderait les héros de Star Trek TOS quelles que puissent être les altérations cosmiques, et qui ferait de Kirk le point d’invariance de tous les multivers… c’est-à-dire l’Élu !

La rencontre pseudo-hasardeuse du vénérable Spock-Nimoy et du jeune James T. Kirk sur la planète isolée Delta Vega ne ressemble-t-elle pas étrangement à la rencontre prédestinée du vénérable Yoda et du jeune Luke Skywalker sur la non moins isolée Dagobah (Star Wars V : The Empire Strikes Back) ? Il ne manque plus que l’introduction explicite par Spock-Nimoy d’une "force" ou autre "Schwartz" (Spaceballs (La folle histoire de l’espace))...


Il s’agit là d’une doctrine à la mode qui combine un certain spiritualisme New Age et le monomythe (Le Héros aux mille et un visages) de l’anthropologue Joseph Campbell, caractérisée notamment par les concepts de prédestination du héros ("the chosen one", "the elected one"), et d’initiation du héros (par un maître spirituel), ayant initialement prospéré en fantasy — et surtout en heroic fantasy à l’instar de The Lord Of The Rings et de Star Wars — pour finalement contaminer sous une forme plus fonctionnaliste l’ensemble du cinéma industriel, modelé sur l’invariable "scénario en trois actes" formalisé par les producteurs Don Simpson et Jerry Bruckeimer : 1) acte 1, le héros prouve sa force ; 2) acte 2, l’arrogance coule le héros ; 3) acte 3, un mentor reconstruit le héros pour un retour en gloire. L’ordonnance s’érige désormais en doctrine liberticide, et elle constitue un facteur de pollution intellectuel et culturel.

Or cette idéologie (Campbell/Simpson) est fondamentalement étrangère à l’esprit trekkien, et Star Trek pouvait se prévaloir d’être l’un des ultimes univers de SF totalement — et presque miraculeusement — épargné par elle ! La philosophie de Star Trek s’est toujours bien gardée, d’une part d’obéir à des mécanismes narratifs préformatés, d’autre part de concurrencer les croyances et les religions humaines en se refusant à une quelconque révélation métaphysique universelle, y compris lors de rencontres avec des entités omniscientes et omnipotentes tels Q, Trelane, ou les Prophets de Bajor.

L’absence de révélation universelle va d’ailleurs de pair avec l’absence de mal platonicien. Mais il est malheureusement à craindre que ces notions philosophiques au cœur du trekkisme échappent totalement à l’équipe scénaristique de J.J. Abrams… alors qu’elles n’échappaient absolument pas aux équipes de Gene Roddenberry et de Rick Berman…


A la fin du film, Kirk provoque la stupéfaction de Spock (et probablement de toute la passerelle de l’USS Enterprise) en proposant de sauver Nero et son équipage ! Et voilà comment — mine de rien — Kirk prétend fonder l’humanisme des protocoles de Starfleet, suggérant qu’il n’en était pas ainsi avant lui, tout en faisant rire la salle de l’abandon de Nero au trou noir, et même de sa froide exécution.

Or Kirk avait la possibilité de téléporter l’équipage du Narada, et il ne l’a pas fait, soi-disant pour respecter la volonté de Nero. Manifestement, seules les têtes d’affiches sont considérées comme ayant le droit de choisir de vivre ou de mourir, et d’en décider pour les "pantins" qui les servent ; c’est encore pire que les redshirts de Star Trek TOS pourtant si raillés, c’en est à l’aune des sbires des grands "méchants" de James Bond (qui meublent les couloirs et meurent lorsque la base explose).


Mais pire encore, de la prétention séminale humaniste, Kirk verse brutalement dans l’acte criminel décomplexé ! Ainsi il ordonne de tirer sur l’ambulance — de toute la puissance de feu de l’USS Enterprise ! Le dragon Narada était pourtant édenté, dans l’incapacité de nuire, condamné à très court terme par le trou noir abramsien en formation, pourquoi a-t-il fallu en plus que Kirk — qui se prévalait juste auparavant de "compassion" — l’achève, lui et ses occupants, de sang froid et à bout portant ?!

Pourtant en pareil cas, il est du devoir du commandant de l’USS Enterprise de sauver un maximum de vies — même ennemies — tant que cela ne met pas en danger son équipage. Car dans la société humaniste de la Fédération — remontant à bien avant la naissance de Kirk — toute vie mérite d’être sauvée, y compris celle du pire criminel. Et par-delà l’humanisme, les vies de Nero et de ses lieutenants méritaient également d’être sauvées au nom de la justice, afin de livrer aux autorités ceux qui ont exterminé six milliards de Vulcains.


Voilà donc l’une des plus emblématiques illustrations de l’opération réalisée par JJ Abrams !

Sous couvert d’humour cool, les auteurs tentent d’imputer abusivement au super-héros Kirk une politique qui existe pourtant depuis plus d’un siècle. Puis sans en avoir forcément conscience, ils la contredisent frontalement trente secondes seulement après l’avoir édictée, en mettant finalement en scène une authentique violation de cette même politique : ils font commettre à Kirk un acte foncièrement criminel tant envers des vies — même coupables — qu’il aurait pu sauver, qu’envers le génocide de six milliards d’innocents privés à jamais de rétribution judiciaire.

Ce qui revient à balayer d’un revers de main tout l’héritage de la série Star Trek : Enterprise et l’acte fondateur humaniste d’une Fédération vieille de 97 ans au seul profit d’une marque d’humour volée, d’une innovation usurpée, et d’une criminalité inassumée. La mansuétude n’est que simulacre et sa fonction est de mieux dissimuler... la loi du Talion ! Faut-il que la construction politique de Starfleet — révisée par Abrams — soit douteuse pour célébrer de pareils agissements par une reconnaissance et une récompense historiquement sans égales.


Avec le film de J.J., jamais l’anthropocentrisme triomphant et méprisant n’aura été aussi grand.

Plus d’une fois en 40 ans dans l’univers canonique de Star Trek, la Terre fut la cible de diverses menaces, et il fut toujours souligné que la Fédération serait mise à genoux si la Terre était détruite.

Il était alors permis d’espérer que le film de J.J. nous rappellerait par la destruction de Vulcain que les Vulcains en tant que peuple, société et puissance politique, étaient au moins aussi importants que les Terriens pour la Fédération.

Or le film aura en fait démontré exactement le contraire : l’univers trekkien se porte aussi bien sans Vulcain, et l’aventure continue comme si de rien n’était !


Formulé plus crûment, est-ce que Star Trek privé de six milliards de Vulcains et sans la planète Vulcain, mérite encore le nom de Star Trek ? N’est-ce pas brûler tous les ponts avec l’univers de Star Trek TOS-TNG-DS9-VOY afin de ne jamais plus y revenir ?

Et finalement cet holocauste ne prépare-t-il pas le terrain à autre chose ? Réduire la civilisation vulcaine à un 10 000 survivants, essentiellement quelques "sages", dépositaires de la "vulcanité ancestrale", permettra de continuer à agrémenter les plaisanteries humaines que ne manquera pas de recycler J.J. Abrams dans ses prochains films, et offrira l’opportunité de doter la diaspora des ultimes Vulcains de la hiératique et initiatique fonction de Jedi, un concept crypto-campbellien hérité de Star Wars et qui empoisonne la plupart des SF contemporaines en mal d’inspiration.

Le méga-génocide de tout un peuple, de toute une race, est certes dans l’air du temps en SF. Mais lorsque la troisième saison de Star Trek Enterprise saisissait les vertiges d’une humanité au bord de l’abime et donnait un prix considérable à sa survie, et lorsque le Battlestar Galactica de Ronald D Moore figurait la désespérance indicible des ultimes rescapés des douze colonies de Kobol, le Star Trek de J.J. Abrams fait de l’extermination du peuple le plus emblématique et inébranlable de tout l’univers de Star Trek... une simple journée de travail, avant de tourner la page pour vivre de nouvelles aventures dans la joie et la bonne humeur !!!


Est-ce vraiment ça que l’univers de Star Trek méritait ? Saborder ses fondements, banaliser l’atrocité, renier ses valeurs humanistes, pratiquer une xénophobie par omission... pour un peu d’humour hollywoodien (que l’on appelle communément "les vannes à deux balles") et d’"alchimie" à la Beverly Hills ?

Assumons un peu la BD Star Trek Countdown des mêmes auteurs. A la fin du 24ème siècle, le seul d’entre tous à avoir tenté de mettre en garde l’Empire Romulien contre les dangers de la supernova Hobus, c’est Spock-Nimoy ! Le seul à avoir proposé de lui-même son aide à Nero contre la veulerie (aussi invraisemblable qu’elle soit) de l’Empire romulien, et le seul à avoir proposé de lui-même des solutions contre la supernova Hobus, c’est encore Spock-Nimoy ! Que Nero ait la haine d’avoir assisté impuissant à l’anéantissement de son monde et à la mort de son épouse enceinte est bien compréhensible. Mais qu’il veuille se venger en toute priorité de Spock et des Vulcains ne l’est absolument pas, d’autant plus que — pour avoir pratiqué une fusion mentale avec lui — Nero ne peut ignorer la totale sincérité de l’assistance apportée par Spock. Et dès lors que Nero a l’insigne privilège de revenir 129 ans dans le passé, au lieu d’apprécier la chance qui s’offre à lui de retrouver l’Empire romulien sain et sauf, et de pouvoir prévenir longtemps à l’avance la tragédie dont il a tant souffert, que fait-il ? Il ignore royalement l’Empire romulien, et il poursuit obstinément son projet de "vengeance" en traquant Spock à travers le temps (jusqu’à l’attendre 25 ans sans rien faire), puis en anéantissant Vulcain et six milliards de personnes, et en projetant d’en faire de même avec toutes les planètes de la Fédération. Mais sa "vengeance" — aussi illégitime soit-elle — a en sus perdu désormais toute raison d’être et est devenu obsolète ! En bouleversant ainsi l’univers pour une "vengeance" absurde, Nero en compromet la naissance et l’existence même de la femme qu’il aime, et il raye du continuum le seul peuple qui a développé ou développera l’unique technologie existante (Red Matter) capable d’éradiquer le péril de la supernova Hobus menaçant d’extinction l’Empire romulien ! Et comme si une telle absurdité ne suffisait pas, face à la mort et à la perspective d’être à jamais privé de la possibilité de s’assurer lui-même du salut futur de Romulus, Nero déclame sans hésiter préférer revivre mille fois l’extermination de Romulus plutôt que de recevoir l’aide d’un membre de la Fédération !!! C’est totalement surréaliste ! Un tel comportement bat tous les records d’incohérences et ne peut se comprendre que par une folie furieuse aussi sadique que masochiste ! Mais si tel est le cas, comment expliquer alors le soutien inconditionnel que Nero reçoit de son équipage romulien durant tant d’années ? Une folie collective vengeresse ne peut durer 25 ans hors de tout aiguillon permanent, a fortiori dans le cas de Romuliens !

Nero massacre donc le peuple vulcain, non parce que "coupable" de quelque chose, mais uniquement parce que vulcain ! Le moteur de sa "vengeance" est donc aussi discriminatoire et infamant qu’un authentique crime contre l’humanité, et ne peut bénéficier de l’excuse de la quête de rétribution que porte en lui le concept de vengeance. Or par son comportement et ses propos, Spock-Nimoy témoignera pourtant d’une invraisemblable empathie envers Nero au point de presque en adouber ses motivations de "vengeance". Voici précisément l’une des erreurs tonales du film, qui une fois de plus ne mesure pas vraiment la gravité de ce qu’il met en scène.

Ben oui, le pauvre Nero, il faut le comprendre, il est depuis vingt-cinq ans en plein "trip vengeance" contre le seul qui ait tenté de sauver Romulus, et cela malgré que le destin lui ait offert la chance inespérée de réellement sauver sa planète — ce dont il se fout en fait complètement comme il l’avoue lui-même avant de mourir !!! En d’autres termes, Nero n’a de cesse de se venger d’un événement qui ne s’est pas encore produit, et sans même se préoccuper d’éviter qu’il se (re-)produise !!! Le ressort est tellement grotesque que ce serait hilarant si ce n’était pas aussi tragiquement pathétique et s’il n’était pas question de génocides à la chaîne.

Manifestement, la mise en œuvre du voyage dans le temps dans ce film est aussi lamentable et absurde que dans la série Lost (des mêmes auteurs), au point de parvenir à ridiculiser ce qui constitue pourtant l’un des plus estimables ressorts de la bonne SF !

Dressons maintenant la liste de toutes les façons dont la vulcanité aura été mise à mal par le film de JJ Abrams :
- Spock-Nimoy prétendument venu de l’univers originel est méconnaissable et n’est pas plus vulcain que lorsque Leonard Nimoy fait la promo du film sur les plateaux de télévision ;
- Spock-Nimoy prône les émotions contre la logique (« éveille les émotions qui sont en Spock », « oublie la logique ») et l’humanité contre la vulcanité, finalement dans le seul but de permettre à Kirk de prendre la place de Spock ;
- le jeune Spock vit des bagatelles d’ado comme n’importe quel Terrien — en sus avec une subalterne — au mépris de sa discipline vulcaine, des cycles du Pon farr, du mariage arrangé dans son enfance avec T’Pring, mais aussi des règlements de Starfleet depuis Star Trek Enterprise ;
- Spock-Quinto se révèle hors de toute pathologie plus émotif et assurément plus violent qu’un humain, porteur d’une grande violence contenue et souvent à fleur de peau, au point de présenter une dualité de nature façon Dr Jekyll & Mr Hyde — ou plutôt Dr Spock & Mr Evil-Spock — dont il conviendrait de faire triompher Mr Hyde au nom de l’humanité ;
- le peuple vulcain, pourtant vétéran du voyage spatial et réservoir de savants, s’avère incapable de mener des déductions scientifiques, incapable de détecter une intrusion dans l’atmosphère de Vulcain, incapable de contribuer à la défense de sa propre planète ;
- le peuple Vulcain, pourtant socle inébranlable et invulnérable de la franchise, jamais envahi ni dominé par quiconque dans son histoire, attend la mort dans la passivité la plus totale, et se laisse conduire comme l’agneau à l’abattoir ;
- le lien télépathique qui unit les Vulcains est ignoré par les auteurs au profit d’une lecture de la vulcanité à l’aune des névroses et des traumas émotionnels humains ;
- le monde éducatif vulcain révèle un état de xénophobie viscérale contre le métissage et l’humanité : les seuls vulcains ados mis en scène insultent Spock de la pire des façons, nul ne le défend, sa résignation et la justification de Sarek valent système ;
- le Conseil des Sciences vulcain témoigne d’un profond mépris envers l’humanité, ses distingués membres se comportent comme de piètres spécimens d’humanité, et la supériorité intellectuelle vulcaine n’est plus un fait objectif mais une prétention & une vanité ;
- en dépit de cette suffisance envers l’humanité, et de l’éducation à la Vulcaine du jeune Spock, l’enseignement des sciences vulcaines recourt à des graphèmes terriens (anglais) ;
- rien ne distingue le comportement de Sarek — pourtant 100% Vulcain — de n’importe quel humain du même âge et du même degré d’expérience ;
- l’immémoriale suppression émotionnelle vulcaine en amont de la conscience est transformée en un vulgaire refoulement teinté de puritanisme en aval de la conscience ;
- une planète quasi-jumelle de Vulcain (probablement entraperçue dans Star Trek TAS 01x02 Yesteryear (Retour dans le passé) et dans Star Trek : The Motion Picture) reçoit un nom (Delta Vega) qui n’a rien de vulcain ou d’équivalent mythologique terrien ;
- le salut traditionnel vulcain est désormais accompagné d’un très trivial « Good luck »...


Voilà autant de façon de flatter l’humanité des spectateurs et autant de signes de la méconnaissance profonde de la vulcanité, tant par l’ignorance des apports non-anthropomorphes de la franchise (et tout particulièrement de Star Trek Enterprise) sur la culture et la sociologie vulcaine, que par l’incompréhension des travaux de Herbert F. Solow et de Dorothy C. Fontana sur le personnage de Spock et la vulcanité en général. Depuis son enfance (avant l’âge de huits ans), Spock s’était toujours efforcé d’être intégralement vulcain ; et dans Star Trek TOS, s’il était potentiellement exposé à une éventuelle multiculturalité, il ne connaissait aucune dualité de culture, et il était encore moins déchiré par une quelconque dualité de nature — dont la violence contenue serait le corollaire. À l’état naturel, Spock était — à l’instar de la plupart des Vulcains — totalement impavide & équanime, augmenté parfois d’une indéfinissable ironie, qualités apparemment inconnues des auteurs du film. En outre, la supériorité objective (mentale et physique) des Vulcains sur les Terriens établie par quarante de franchise s’est transformée dans le film en un complexe de supériorité assorti d’une xénophobie totalement anthropomorphe. La différence peut sembler ténue, mais elle tient aux dialogues, à la direction d’acteurs, et à l’interprétation. Et ce n’est pas un facteur négligeable, car c’est tout simplement ce qui permet de faire le départ entre des extraterrestres convaincants et des humains déguisés en extraterrestres !


Ce sont bien là les manifestations de l’irrespect des auteurs envers un système de pensée autre qu’humain (plus précisément autre qu’occidental) dont ils furent bien incapables de mesurer toute l’unicité. Soit le triomphe de l’impérialisme américain comme seul système de pensée valide pour tout l’univers. Un impérialisme qui aurait peut-être eu sa place dans le monde contemporain de Stargate SG-1, mais contre lequel s’était justement élevé Gene Roddenberry en créant l’univers futuriste de Star Trek et sa Fédération utopique, et qui fut dénoncé tout au long de la franchise notamment via l’univers miroir, de Star Trek TOS 02x10 Mirror, Mirror (Miroir) jusqu’au diptyque unanimement acclamé Star Trek Enterprise 04x18+04x19 In A Mirror, Darkly (Le côté obscur du miroir). Mais tandis que le cruel Terran Empire de l’univers miroir "se contentait" d’exiger l’allégeance politique des Vulcains, JJ Abrams porte atteinte à leur conscience même et à leur identité propre, en les dépossédant de tout ce qui les rend vulcains !


Le salut des ultimes Vulcains réside pourtant dans la mémoire, et non dans l’auto-négation. Un second anéantissement semble être en marche, plus doux et insidieux : la dilution dans l’humanité triomphante de tout ce qui faisait la singularité et la fierté vulcaines… D’ores et déjà, le film de J.J. Abrams a réussi à transformer les Vulcains en de simples humains un peu coincés et coiffés d’oreilles pointues ! Et en plus d’être émotionnellement humanisés, les Vulcains en ressortent totalement émasculés ! Mais il se trouvera probablement une majorité de spectateurs pour applaudir à l’humanisation et à la fragilisation des Vulcains, car l’anthropocentrisme humain est sans limite ! Quoi de mieux dans l’univers que de devenir humain, n’est-ce pas ? Étant donné que toutes ces initiatives affectent et ruinent le premier peuple extraterrestre imaginé par Gene Roddenberry, un peuple devenu au fil des décennies le symbole même de la franchise, comment ne pas y voir une violation de "l’esprit de Prime Directive" — le respect de chacun dans ce qu’il a d’unique — c’est-à-dire la philosophie première de Star Trek.

Les mêmes doléances peuvent être adressées au film de JJ Abrams pour sa figuration de la romulanité, traitée avec de semblables irrespect & inculture. Ce qui ne manque pas d’ironie dans la mesure où le précédent long métrage Star Trek : Nemesis — et ultime film méritant le label Star Trek — avait su saisir à la perfection l’essence de la sociologie romulienne — notamment grâce à l’érudition trekkienne et à la romanité de John Logan, scénariste de Gladiator.


Kirk aura été tel un fétu presque sans volonté propre, baladé malgré lui au gré des événements et des influences, d’abord par Pike, ensuite par un Spock puis par un autre. Le jeune Spock a failli plomber la carrière de Kirk à Starfleet, et l’assassiner en le perdant sur Delta Vega. Puis méthodiquement, chaque protagoniste de la série originale viendra lui sauver la vie : Sulu, Chekov, Spock-Nimoy, Sarek, Pike, Scotty. Et tout au long du film, Kirk encaissera les coups de partout, tel un punching ball, sans jamais les rendre (ou presque). Ce n’est que par un trucage de Spock-Nimoy et finalement la complaisance de Spock-Quinto que Kirk sera promu capitaine de vaisseau alors qu’il ne le méritait pas plus qu’un autre. Car dans cet univers bouleversé, il fallait absolument restaurer ce que l’imaginaire collectif tient pour essentiel dans la trame temporelle originelle : la composition de l’équipage de Star Trek TOS ! Mais au milieu d’une extermination sans équivalent dans toute l’histoire humaine, accorder une telle primauté à la genèse de l’amitié entre quelques personnes… a quelque chose d’obscène ! Et voir une telle tragédie s’achever par un tonnerre d’applaudissement pour la promotion usurpée de l’Élu, Kirk… a quelque chose d’indécent !


Mais c’est au fond le propre des super-héros : être glorifiés de façon totalement indue, soit par des superpouvoirs peu vraisemblables (ce n’est pas le cas ici), soit par le concept d’élection et de prédestination (c’est le cas ici), soit par une dévalorisation artificielle du reste de l’univers à leur seul profit (c’est aussi le cas ici, et cela peut devenir nauséabond dans le cas d’un génocide).

Quand J.J. Abrams et son équipe scénaristique ne cessent de répéter dans leurs interviews que leur film est positif et optimiste alors qu’il est question d’un génocide qui n’a rien à "envier" à celui de BSG si ce n’est qu’il ne touche pas des humains, quand six milliards de Vulcain disparaissent sans que jamais le film n’en fasse vraiment mesurer le poids au spectateur et que l’aventure continue ensuite comme si de rien n’était… c’est l’expression du mépris des auteurs envers des formes de vies autres qu’humaines, soit une forme sournoise de racisme. Imaginons un instant que le film de JJ Abrams se soit achevé par l’extermination de six milliards de Terriens, eh bien jamais ses auteurs n’auraient osé le présenter partout comme positif et optimiste !
Et c’est d’autant plus inexcusable que les auteurs du film ont pourtant démontré leur parfaite capacité à saisir et restituer la tragédie dans les onze premières minutes de l’exceptionnel teaser, construit en tout point à la façon du BSG 2003 de Ronald D. Moore. Ce qui par contraste renforce l’insulte envers le génocide vulcain, apparaissant bien anodin en comparaison de la destruction d’un vaisseau (USS Kelvin) composé majoritairement d’humains.


N’est-ce donc pas là, plus que jamais, la négation même de l’esprit humaniste trekkien, de l’IDIC, du respect de l’autre comme de soi-même, des différences qui nous enrichissent ?

Et le plus ironique est que les auteurs n’ont probablement pas du tout conscience de la xénophobie et du racisme intrinsèques qui transparaissent dans leur film. L’impérialisme occidental imprègne tellement leur pensée que l’extermination de six milliards de Vulcains ne constitue même pas un léger nuage ombrant l’univers riant né de la défaite de Nero et le film merveilleusement positif qu’ils sont convaincus d’avoir créé !

A mon sens, de toutes les faiblesses, maladresses, incohérences, et violations que ce film cumule, celle-ci est de loin la pire !

Mais pour beaucoup de spectateurs, la parade sera aisée : quelle importance que six milliards de Vulcains (et peut-être autant de Romuliens) aient été exterminés par le bon vouloir des scénaristes, puisqu’il ne s’agit que d’êtres de fiction ? A ce compte-là, rien n’a d’importance et tout est permis, car ce n’est que de la science-fiction après tout ! Mais alors pourquoi perdre du temps à en lire et à en voir ? C’est là précisément qu’interviennent les positions épistémologiques de l’externalisme et de l’internalisme, afin de pouvoir poser comme réel ce qu’une œuvre de SF met en scène, et de lui offrir ainsi une suspension d’incrédulité en contrepartie de ses contraintes de vraisemblance.

V - Utilité commerciale du film ?

Star Trek Babies est-il ce film messianique qui "sauvera" l’univers Star Trek d’une "décadence" imaginaire ?

Qualitativement, du temps de Rick Berman, il n’y a jamais eu de décadence, ni même une quelconque dégradation… bien qu’il soit toujours de bon ton de prétendre le contraire...


En terme de vitalité de la communauté des trekkers, il n’y a jamais eu de décadence non plus, comme l’a prouvé l’incroyable mobilisation des fans pour sauver la série Star Trek Enterprise en 2005 : ce lobbying fut historiquement sans équivalent, et parvint à amasser plus de trois millions de dollars de donations individuelles !

En terme d’audiences, il y eut en effet un dépérissement progressif, entamé depuis Star Trek : First Contact, mais en partie imputable à l’abandon de la syndication au profit de la diffusion de Star Trek Voyager et Enterprise sur la télé-poubelle UPN…

Il est donc probable que Star Trek Babies fasse son office commercial, y compris en France étant donné le soutien critique unanime que la presse lui apporte d’ores et déjà.

Revenir aux sources (c’est-à-dire à Star Trek TOS) pour rebooter l’univers de Star Trek a été presque unanimement salué par les experts et les professionnels comme le "right move". La mode du remake normalisée par les comics est tellement ancrée dans l’imaginaire collectif qu’il semble naturel aux yeux de tous que l’univers Star Trek passe aussi à cette casserole.


Car l’identité de Star Trek ne consistait pas à glorifier un petit groupe de (super-)héros sauveurs de l’univers, et en pratiquer périodiquement le recast et le remake à la façon de Batman. L’identité de Star Trek consistait à explorer, à bâtir, et à philosopher, tout en tissant progressivement une histoire du futur aussi consistante et cohérente que celles de Isaac Asimov (avec le cycle Foundation), de Robert Anson Heinlein (avec le cycle Future History), de Frank Herbert (avec le cycle Dune), ou de Peter F. Hamilton (avec le cycle The Night’s Dawn).

Et toute la grandeur et l’ambition du Star Trek originel s’était révélée lorsque l’une des protagonistes, Kira Nerys, déclara un jour, dans Star Trek DS9 02x23 Crossover (Entrelacs) ne jamais avoir entendu parler de Kirk ! Star Trek avait tout simplement osé faire de James T Kirk un capitaine parmi d’autres, presque oublié par l’histoire.

Mais J.J. Abrams, lui, s’est bien assuré que Kirk ne devienne pas un capitaine parmi tant d’autres dans une vaste et complexe histoire du futur. Avec J.J. Abrams, l’histoire du futur s’arrête à Kirk et fera désormais un éternel sur-place autour de Kirk et de ses potes, dont le culte sera décliné à toutes les sauces par des générations d’auteurs. Soit le passage du Trekverse à la moulinette de la culture comics, façon Star Trek Begins, consistant à figer son univers à jamais pour en fétichiser un seul composant.

La préservation d’une cohérence profonde sans recast ni reboot durant 40 ans aurait pourtant dû permettre à cet univers de SF vraiment pas comme les autres de bénéficier d’un régime d’exception culturelle !

Peut-on considérer que par delà l’appréciation personnelle, l’initiative et le film de J.J. Abrams étaient les seuls en mesure de hisser Star Trek au degré de popularité de Star Wars, y compris sous les cieux déshérité du trekkisme hexagonal ?


Les seuls ? Pas forcément. Mais commercialement les plus prudents ? Assurément ! J.J. Abrams est un expert de la rentabilité commerciale, et il fait toujours les choix les moins risqués.

Parce qu’étudiée par des experts en marketing pour cibler chirurgicalement les goûts du public contemporain, la formule de Star Trek Babies est un "prêt à consommer" dont le rythme et la vitesse sont étudiés pour maintenir le spectateur éveillé et attentif là où le propos en lui-même — indigent — n’y suffirait pas. Et ainsi, ce film suscite l’adhésion d’un public et la bénédiction d’une presse n’ayant presque jamais mesuré dans toute sa largeur de spectre le génie de l’authentique Star Trek.

Et le cas français est encore plus affligeant ! A quelques trop rares exceptions près, la presse française a toujours été incapable d’apprécier les films et les séries Star Trek, à l’instar de trop d’intellectuels français incapables d’apprécier la vraie science-fiction (hors de la puérilité, de la transposition, et des leçons idéologiques). Or les trekkers les plus optimistes s’imaginent que le film de JJ Abrams réussira à respectabiliser la mauvaise image de Star Trek en France ! Malheureusement, ce n’est pas Star Trek en tant qu’œuvre de SF qui va gagner une respectabilité médiatique et populaire en France, c’est uniquement le film de JJ Abrams. Et c’est une nuance de poids.

Les positions de la majorité des critiques cinés français peuvent se résumer par une phrase : « Star Trek, c’est devenu formidable. Mais avant JJ Abrams, Star Trek, c’était nul. ». De ce fait, le gain en respectabilité concerne assurément le nom de Star Trek, la marque commerciale Star Trek, et cela garantit aux productions suivantes de JJ Abrams un bon accueil. Mais ce gain en respectabilité ne concerne en rien quarante ans d’univers Star Trek !


En réalité, parvenir à rendre "branché" le nom de Star Trek frappera rétroactivement de ringardise quarante ans d’univers Star Trek… Ce que la presse ne manque déjà pas de professer triomphalement, en clamant à tue-tête que "J.J. Abrams a dépoussiéré Star Trek" ! Ce qui revient à imaginer dans Star Trek une "poussière", donc une ringardise, qui pourtant n’existe pas et n’a jamais existé.

Qu’une version dénaturée, standardisée, paramétrée, superficielle, fébrile, et cacophonique de Star Trek séduise les critiques généralistes français lorsque l’original ne suscitait que leur mépris… laisse tout de même un amère goût d’imposture. Mais c’est l’histoire finalement classique de la mauvaise imitation qui supplante l’original dans l’imaginaire des profanes.

D’aucuns argueront qu’à chaque nouvelle déclinaison de Star Trek, il y eut un mouvement de protestation par fétichisme envers les précédentes. Certes, mais à tort.

Car aucune des déclinaisons de Star Trek n’a trahi les précédentes dans la mesure où chacune d’elle s’est employée à développer et non à adapter ! Aucune ne contredisait les autres, et chacune d’elle possédait une personnalité et une vocation suffisamment distincte pour respecter l’intégrité des autres, sans jamais chercher à prendre leur place : les problématiques, les personnages, les lieux et les époques étaient systématiquement différents.


Même si certaines de ces déclinaisons n’ont pas été du goût de tous, il ne saurait donc être question de "trahison" dans leur cas ! Star Trek TOS relatait des fables corrosives pour l’époque et même encore aujourd’hui, Star Trek TAS fut un fascinant dessin animé pour adultes, Star Trek TNG a donné ses lettres de noblesse à la hard SF, Star Trek DS9 fut une encyclopédie de philosophie politique, Star Trek Voyager fut une épopée envoûtante et addictive, et Star Trek Enterprise fut un virtuose exercice de révisionnisme crédibilisant.

Tandis que le film de J.J. Abrams a la prétention de re-raconter Star Trek TOS, de marcher dans ses traces, et finalement de se l’approprier. Or étant donné qu’il l’a totalement dénaturé, littéralement vidé de sa substance, derrière un bel emballage et des personnages totalement stéréotypés, le film de J.J. Abrams n’est qu’une coquille vide, un bras d’honneur à ce qui a fait aimer à tant de générations différentes Star Trek, pour autant de raisons qu’il y a de trekkers, mais dont presque aucune d’elle ne se retrouvera dans ce film.

En ce sens, le film de J.J. Abrams a réussi précisément à ne pas être tout ce que Star Trek TOS pouvait être ! C’est tout de même très fort.
Alors oui, dans ce cas précis, au contraire de tous les précédents, on peut dire que nous sommes confrontés à une trahison de Star Trek TOS et par transitivité de tout Star Trek.


Il faut néanmoins être lucide. Parce que les lois du marché sont ce qu’elles sont, et que le public est dorénavant tanné et formaté par elles, il est évident que Star Trek ne peut plus exister ici et maintenant dans sa forme originelle : i.e. prendre le temps de poser les plus grands problèmes existentiels, prendre le temps d’explorer les fondamentaux de la SF et de la philosophie (qui sont un peu les mêmes), prendre le temps de faire évoluer ses personnages par petites touches crédibles et subtiles, oser accorder de la place au recueillement et au silence, oser tout simplement être ennuyeux selon les standards du jour… Mais le fond de Star Trek peut-il survivre hors de cette forme qui l’a fait naître et prospérer si longtemps ?

En tout état de cause, cela souligne l’exceptionnel mérite de Rick Berman pour avoir réussi à préserver le fond & la forme, l’identité & le génie de Star Trek jusqu’au terme de la série Enterprise en 2005 ! Chapeau !


Puisque le véritable Star Trek est anachronique à l’ère du zapping-roi, et est en essence incompatible avec l’urgence, l’empressement, la superficialité, le grand spectacle, la surenchère perpétuelle devenus le pain quotidien de tous, la véritable audace créative (de la nouvelle direction de la Paramount arrivée en 2006) aurait tout simplement consisté à enterrer Star Trek, à l’instar des œuvres d’auteurs que sont Babylon 5 et Farscape ! Bon, ne pas l’enterrer forcément définitivement, mais du moins jusqu’à ce que les modes changent — car elles changent inéluctablement... C’eut été le respect que Star Trek méritait, et c’est ainsi que les œuvres deviennent "cultes".

Il est de très loin préférable qu’un univers de SF conserve sa spécificité même si cela implique qu’il soit mis en sommeil, plutôt que de le voir se renier pour devenir un hit. Les hits, ce n’est vraiment pas ça qui manque, et ils se ressemblent tous beaucoup. Star Trek était différent, et c’est précisément cette différence qui le définissait.


Mais perdu pour perdu, si le conformisme et l’imitation postulaient d’en passer impérativement par la case du reboot de Star Trek, quel dommage de ne l’avoir pas au moins confié à l’authentique grand auteur de SF qu’est Joseph Michael Straczynski (ayant soumis à la Paramount un audacieux projet resté lettre morte), ou encore au véritable trekker devant l’Eternel qu’est Bryan Singer.

Bien sûr Star Trek a toujours été un business pour la Paramount ! Il faut bien financer les productions et faire des bénéfices — et ceux-ci s’élèvent cumulativement à plusieurs milliards de dollars depuis 1966 ! Mais ce commerce "légitime" n’avait pour autant jamais retiré à Star Trek ses qualités d’œuvre, et même disons-le sans ambages, d’œuvre d’auteur ! Et cela durant quarante ans.


Tandis que depuis l’arrivée de J.J. Abrams le situation a fondamentalement changé ! Dorénavant, Paramount veut faire de Star Trek un phénomène de mode, et s’est donné des moyens totalement inédits pour y parvenir. Or pour fabriquer de toute pièce une vogue planétaire, le prix à payer est considérable... à savoir cesser d’être une œuvre pour devenir un produit de consommation — et de consommation très courante de surcroît ! Dans le climat actuel, à l’ère des productions standardisées, stéréotypées, et formatées, prétendre faire du jour au lendemain de Star Trek un phénomène de mode dont le public s’entiche, ne peut que passer par un complet reniement !


Et c’est désormais chose faite !

Œuvre résolument intemporelle et universelle, durablement enracinée dans l’inconscient collectif et la construction de la pensée, Star Trek n’avait pourtant aucune vocation à être un produit à la mode ! Mais il n’est guère politiquement correct de le rappeler...

Non, Star Trek Babies n’est pas un Star Trek, mais c’est un film qui parle de Star Trek, nuance de poids. Et pour en parler, ce film aligne à la chaîne une série ininterrompue d’emprunts bateaux aux films antérieurs (répliques, situations, composants), comme un mauvais documentaire de reconstitution alignerait les truismes. Il exhibe pesamment sa vocation pédagogique, prosélyte, et commerçante pour "ratisser au plus large" à la manière du plus centriste & consensuel des candidats politiques.
Et si d’aucuns sont tentés de voir dans cette démarche sans élégance et sans finesse un hommage à Star Trek TOS, je les invite à mesurer ce que ce sont de véritables hommages en se remémorant la façon proprement amoureuse dont chacune des séries de la franchise sut faire honneur à la série originale : Star Trek TNG 06x04 Relics (Reliques), Star Trek DS9 05x06 Trials And Tribble-ations (Épreuves et tribulations), Star Trek Voyager 03x02 Flashback, et Star Trek Enterprise 04x18+04x19 In A Mirror, Darkly (Le côté obscur du miroir).

Dans une certaine mesure, Star Trek Babies pourrait rejoindre la collection Star Trek for Dummies (Star Trek pour les nuls) ! Mais si le trekker potentiel qui débarque dans ce nouvel univers peut être un newbie ou un rookie, il n’est en aucun cas un dummy… Du reste l’estimable collection éponyme "…for Dummies" a vocation à initier et édifier, et non à niveler par le bas… tout au contraire de ce film.


Star Trek for Dummies ne se contente pas d’enchaîner les emprunts à Star Wars (que j’ai inventoriés dans mon résumé commenté), il constitue en lui-même un gigantesque emprunt à Star Wars ! Jugez-en... « Tout commence par un petit vaisseau qui se fait attaquer par un gros. Le héros de l’histoire s’avère être un jeune fermier rebelle vivant avec son parâtre, et rêvant d’espace. Il rencontre un vieux sage qui lui parle de son père et l’enjoint à se joindre à une mission spatiale de ouf pour lutter contre une menace cosmique. S’ensuit un apprentissage, puis une mission de sauvetage, et la rencontre avec un futur sidekick, que d’abord le héros déteste, mais avec qui il devient très ami à la fin. Et c’est ensemble que les deux partenaires détruisent une gigantesque infrastructure qui anéantit des planètes. Finalement, le héros se fait décorer lors d’une grande cérémonie dans une vaste salle pleine de figurants. Et l’aventure continue... » Alors, qui serait assez malin pour dire s’il s’agit de l’ossature de Star Wars IV : A New Hope ou de celle de Star Trek version JJ Abrams ? Ca avait marché en 1977, il n’y a pas de raison que ça ne remarche pas en 2009… avec beaucoup d’amnésie et un peu de mauvaise foi bien sûr.


Il est intéressant de noter que le visionnage de Star Trek Babies ne change (presque) jamais l’opinion préétablie des spectateurs. Ceux qui sont pessimistes avant de voir le film ne l’apprécient pas lorsqu’ils le voient, et ceux qui sont optimistes avant de le voir l’apprécient lorsqu’ils le voient. Cela tient au fait que le film de JJ Abrams ne comporte aucune surprise ni tonale ni narrative. Ce qui fait que l’on y trouve exactement ce que l’on s’attendait à y trouver avant de le voir — dès lors bien sûr que l’on s’est un peu informé auparavant (bandes-annonces, extraits, parcours des auteurs, interviews, critiques...). Ceux qui "sentent" initialement que ce film ne correspond pas à leur perception de Star Trek ont donc très peu de chance de l’aimer. Et inversement.

Ce qui induit un phénomène peu flatteur et presque sacrilège : l’appréciation des bandes annonces de ce film permet d’anticiper avec un très faible pourcentage d’erreur l’appréciation du film lui-même. En réalité, ce triste symptôme confirme avec cynisme le principe ultime de la séduction des masses, le bien nommé high concept de l’extravagant producteur Don Simpson, et selon lequel un film a nettement plus de chances de faire un carton au box office lorsque son intrigue se résume à une seule phrase !

Dans une large mesure, Star Trek Babies fait l’effet d’être en lui-même une bande-annonce voire un spot publicitaire de 2h06 pour le véritable univers de Star Trek… au point d’appeler — entre la dernière scène du film et le générique de fin — sa conclusion la plus naturelle : une pub pour les coffrets DVD et Blu-Ray de Star Trek distribués par Paramount Home Video !

Malheureusement, si les néophytes viennent ensuite à Star Trek "grâce" à ce film, ils risqueront d’être au mieux surpris au pire déçus en découvrant cet univers… qui n’a pas grand-chose à voir avec son nouvel ambassadeur autoproclamé…

VI - Conclusion


Le film de JJ Abrams est de plus en plus souvent nommé officiellement Star Trek 2009, en lieu et place de Star Trek XI ou de Star Trek : The Future Begins. Ce qui veut tout dire. Car il est d’usage d’ajouter le millésime au titre lorsqu’il n’existe plus qu’un lien d’homonymie entre ladite production et une version antérieure, en d’autres termes pour assumer une ligne de rupture définitive, un remake — quand bien même ce remake est hypocrite comme ici.

Star Trek, le vrai, était l’enfant béni du Golden Age de la SF littéraire ! Tandis que JJ Abrams a fait sombrer son remake dans une pathétique SF d’avant-guerre (WW2), faite d’absurdités scientifiques, de manichéisme binaire, de fantasmes de surhommes, et d’univers miniature. Star Trek 2009 est ni plus ni moins Flash Gordon contre le psychopathe mytho qui veut devenir maître de l’univers, mais dans une version qui se prend très au sérieux... notamment grâce à un emballage dernier cri. C’est à dire aux antipodes de la parodie savoureuse et assumée qu’étaient les aventures du Captain Proto contre Chaotica ! (dans Star Trek Voyager). Le bras d’honneur de Star Trek Babies ne se limite pas à quarante ans de Star Trek, mais en fait à une soixantaine d’années de SF intelligente et crédible !

L’univers peut bien s’écrouler, six milliards de Vulcains peuvent bien être exterminés (et combien de Romuliens ?), la crédibilité de la narration peut bien être sacrifiée, la vraisemblance générale peut bien être ridiculisée, la profondeur trekkienne peut bien être frappée de désuétude... quelle importance ? Pourvu que les spectateurs ne s’ennuient pas, pourvu que le film soit pleinement accessible aux profanes, pourvu que l’interaction sacrée entre Kirk, Spock, et McCoy soit glorifiée ! La richesse et la complexité de l’univers Star Trek ont fait place à une caricature : le culte comicsien de quelques personnages et surtout, surtout, de leurs interactions dans un univers frappé d’irréalité !

Et la Paramount a réussi à imposer son effet de mode : désormais Star Trek, c’est seulement Star Trek TOS, et son univers gravite autour de la trinité super-héroïque Kirk/Spock/McCoy sauveurs de la Terre (car il n’y a définitivement que ça qui importe) comme n’importe quel super-héros d’opérette sous stéroïdes, mais pas sauveurs de Vulcain (car ça on s’en fout un peu, ce ne sont que des Vulcains après tout).

Et pourtant, pourtant, le teaser de onze minutes est un petit chef d’œuvre ! Point nodal de bifurcation entre les deux univers, sa justesse de ton, coulée dans le moule (de forme & de fond) de Battlestar Galactica 2003, rendent impardonnables les inconséquences tonales du film qui suit. Ce fabuleux teaser donne une idée obsédante et douloureuse de ce que ce film aurait pu et dû être s’il n’avait pas cherché à mettre à profit par le recasting — à des fins strictement vénales — la notoriété planétaire des "marques commerciales" que sont devenues Kirk & Spock, même auprès du moins trekker des spectateurs. Si Star Trek 2009 avait évité la facilité du Star Trek kids décomplexé, il aurait pu réussir ce que les connaisseurs attendaient de lui : plonger avec gravité et sans complaisance dans une dystopie trekkienne aux conséquences assumées, modelée sur le génial épisode Star Trek TNG 03x15 Yesterday Enterprise (L’Enterprise viendra d’hier). Ce rendez-vous historique manqué rappelle avec une certaine ironie qu’il ne fallait pas s’inspirer du projet Star Trek : The First Adventure (surnommé Starfleet Academy) de Harve Bennett et David Loughery, auquel s’était opposé peu avant sa mort Gene Roddenberry — conscient de l’erreur que représenterait la revisite de la jeunesse des héros.


Il fallait vraiment que l’anthropolâtrie des auteurs soit sans limite pour saisir aussi magnifiquement toute la vérité d’un drame individuel humain (l’attaque de l’USS Kelvin et le sacrifice du père de James T. Kirk) et manquer aussi grossièrement de prendre toute la mesure d’une tragédie collective non-humaine (le génocide de six milliards de Vulcains, et peut-être autant de Romuliens dans la trame temporelle originelle).

Lorsque la quasi-totalité des critiques de la presse, certainement animés des meilleures intentions du monde, sont portés à dire et écrire que les trekkers seront ravis par le film de J.J. Abrams, ils ne mesurent pas à quel point il n’est guère flatteur pour un trekker que son univers soit réduit à quelques clichés, l’alchimie de ses personnages à de la "convivialité", leur jeu à une pantomime, la comédie de charme à de l’humour splastick neuneu, la complexité à des lieux communs, l’esprit trekkien à des slogans, la philosophie à des brèves de comptoir, et l’humanisme à un anthropocentrisme vulcanophobe…
Mais qu’importe n’est-ce pas, tant que Star Trek Babies "déchire grave", que nul ne s’ennuie, que les effets spéciaux sont à la page, qu’un scénario inepte rend les personnages aussi "sympas" que dans n’importe quel autre blockbuster aux normes du jour, et que tous les attributs de la mode sont réunis : 300 millions de US$ de budget dont moitié pour la pub, jeunisme tendance, recast conformiste, relaunch mercantile, reset démagogique, reboot assumé, remake hypocrite, effet branchouille par battage médiatique et matraquage de pub…


Quatre ans de "privation" savamment dosée, l’espoir d’une "renaissance" à n’importe quel prix, le mythe du "sang neuf" et de sa "virginité", la perspective flatteuse d’une grande vogue, la tentation de l’ouverture à tous vents et du consensus, un "must" hypnotiquement imposé, l’exaltation de l’émotivité si prisée en politique, et la caution morale du caméo de Leonard Nimoy... font avaler quantité de couleuvres, circonviennent nombre de discernements, résignent bien des scepticismes, anesthésient le sens critique… et réussiront bientôt à faire de toute réprobation une prétendue faute de goût, en sacrifiant l’universalité à la vulgarisation et la reconnaissance au succès public.

Au nom de l’hédonisme et pour deux heures de shoot visuel… chacun demeure en effet libre de se féliciter que le gigantisme et la philosophie trekkiennes soient infantilisées & réduites à un buddy movie iconolâtre, ciblé ados, raciste sans en avoir conscience, faisant triompher l’émotion sur la raison, et ouvrant largement les vannes aux schémas idéologiques, narratifs, et visuels de Star Wars dont l’univers Star Trek avait toujours su se préserver.

Et en plagiant sans vergogne Star Wars comme il singe sans respect le véritable Star Trek, en plus d’être un non-Star Trek, Star Trek 2009 n’est au mieux qu’un sous-Star Wars, arrivé 32 ans après l’original, bien moins innovant, et sémantiquement incomparablement plus pauvre ! Ni vrai Star Trek, ni vrai Star Wars, Star Trek for Dummies est juste un ectoplasme bâtard, bancal et irréel. Il en devient un cas d’école : l’exemple même du film strictement dédié à la jouissance et conçu pour provoquer des orgasmes chez les spectateurs, mais également l’exemple même du film creux et sans âme, vecteur d’une imposture et d’une trahison ! Et parce que le seul plaisir permet, justifie, et excuse tout, ce film connaîtra un triomphe populaire & critique planétaire sans précédent.

« Resistance is futile »

Tel un harmonique de l’une des plus mémorables lignes de dialogue de Star Wars : « et c’est ainsi que meurt Star Trek sous un tonnerre d’applaudissements, venant à la fois des critiques, de la presse, du public, et même des trekkers. »

La conclusion est épitaphe :
Star Trek est mort, vive Star Trek !
R.I.P. Star Trek (1964 – 2006)

Je laisse au Cardassien Aamin Marritza dans la peau de Gul Darhe’el (Star Trek DS9 01x19 Duet (Duel)) le soin de nous rappeler l’ultime "message" que délivre le Star Trek version J.J. Abrams :

Yves Raducka

Cliquer pour lire la critique de l’opus suivant Star Trek Into Darkness



Star Trek (1964–2006) - In Memoriam

Ce fut en 2005 le clip officiel de la campagne de lobbying historique contre l’annulation de la dernière déclinaison audiovisuelle méritant de porter le label "Star Trek".

C’est aujourd’hui un touchant hommage à un Star Trek révolu (1964-2006), totalisant plus de quarante ans de continuité, de créativité, et de cohérence... avant que ne soit initiée par J.J. Abrams une politique de dénaturation, d’infantilisation, et finalement de remake (2009- ?).


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