The Orville - New Horizons : Critique 3.05 A Tale of Two Topas
THE ORVILLE NEW HORIZONS
Date de diffusion : 30/06/2022
Plateforme de diffusion : Hulu
Épisode : 3.05 A Tale of Two Topas
Réalisateur : Seth MacFarlane
Scénaristes : Seth MacFarlane
Interprètes : Seth MacFarlane, Adrianne Palicki, Penny Johnson Jerald, Scott Grimes, Peter Macon, J. Lee, Mark Jackson, Chad L. Coleman, Jessica Szohr et Anne Winters
LA CRITIQUE FM
Si Star Trek Strange New Worlds et The Orville New Horizons partagent quelque chose, ce n’est pas tant la filiation à l’oeuvre de Gene Roddenberry. L’une et l’autre série ont un titre qui ne se reflète pas à l’écran. En première saison, très peu de nouveaux mondes étranges ont été visités par l’Enterprise. Et pour l’instant, je cherche encore le nouvel horizon du Orville, car on est, à nouveau, dans la continuation d’histoires initiées les saisons précédentes. Cela étant dit, cette histoire des deux Topas est encore une sublime réussite à mettre au crédit de Seth MacFarlane à l’écriture et à la réalisation de cet épisode.
La destinée de la famille de Bortus, la culture et les rites des Moclans ont fourni certainement les épisodes les plus intéressants de la série. En nous montrant une société où la part féminine est considérée comme une abomination conduisant à son éradication par la transformation de leur corps, la série nous permet de réfléchir non seulement à la place des femmes dans notre société, à leur droit de disposer de leur corps, mais également à la transidentité.
Topa est donc née fille et, par décision de justice Moclan, a été transformée garçon alors qu’elle n’était encore qu’un bébé. On retrouve donc l’enfant de Bortus et Klyden à son adolescence avec une sensation de malaise quant à son être, sans savoir pourquoi il se sent mal. MacFarlane permet au spectateur de mieux comprendre, via un personnage extraterrestre, la détresse des personnes qui, sur notre monde, ne se sentent pas à leur place dans le corps qu’il leur a été donné.
Le sujet est très difficile à traiter pour un public qui n’a sans doute pas les clés pour comprendre et ressentir. Dans ce cadre, le travail d’écriture de MacFarlane et la formidable interprétation du cast du Orville est totalement au service de cette histoire avec toujours le but de donner au téléspectateur les moyens pour qu’il puisse se faire sa propre opinion. Nul wokisme dans cet épisode comme il n’y avait aucune promotion de la lutte contre l’avortement dans le précédent épisode.
Pour preuve, Klyden, dans d’autres mains, aurait pu être montré uniquement comme le "méchant" de cette histoire. Lui-même ayant subi cette transition forcée et étant désespéré de le savoir, le personnage a tout le temps pour donner son point de vue. D’ailleurs, l’ensemble des personnages, Kelly en tête, expriment des doutes. Aucune certitudes donc, à part le fait que c’est aux individus de décider pour eux-mêmes.
Il faut vraiment louer l’interprétation absolument formidable d’Adrianne Palicki, Peter Macon et bien entendu la jeune Imani Pullum dans le rôle de Topa qui, par petites touches, arrive à infléchir son jeu pour montrer les deux facettes de son personnage.
The Orville nous donne donc encore cette semaine le meilleur de la science-fiction à la télévision.
LA CRITIQUE YR
Les quatre premiers épisodes de (la troisième saison) The Orville New Horizons ayant — comme sa nouvelle dénomination ne l’indique pas — prolongé respectivement The Orville 02x08+02x09 Identity, The Orville 02x10 Blood Of Patriots, The Orville 02x12 Mad Idolatry, et The Orville 02x04 Nothing Left On Earth Excepting Fishes, il n’y avait aucune raison que The Orville 03x05 A Tale Of Two Topas n’en fasse pas de même… mais en remontant cette fois dans la chronologie pour offrir une suite à… The Orville 01x03 About A Girl !
Cet épisode diffusé le 21 septembre 2017 (presque cinq ans déjà !) et se déroulant en 2419 fut mémorable parce qu’il avait été le premier à révéler — derrière l’alibi légal de la parodie — toute l’ambition exo-sociologique et foncièrement trekkienne de la série de Seth MacFarlane et de Brannon Braga.
Translittérant dans l’univers de The Orville les caractéristiques unisexuées des J’naii de l’incontournable ST TNG 05x17 The Outcast, les Moclans se démarquaient cependant de leurs inspirateurs du STU par leur haut niveau technologique, leur appartenance à la Planetary Union, et même leur indispensabilité pour en assurer la défense et la survie. Autant dire un choc des civilisations huttingtonien passionnant à explorer diachroniquement sur la durée… lorsque la société humaine du 25ème siècle — utopique et inclusive — se retrouve à devoir cohabiter en bonne intelligence avec une société profondément obscurantiste envers le genderbread… Une société moclan qui s’efforce notamment de faire passer une homosexualité obligatoire pour de l’unisexualité en pratiquant la persécution impitoyable du sexe féminin, interdisant littéralement son existence par la prescription de transitions dès la naissance au moyen de chirurgie transgenre. En somme, une sanction de l’être et non de l’acte !
Tel fut le propos The Orville 01x03 About A Girl, qui plus est traité sous un angle juridique (au travers d’un procès) à l’instar des œuvres audiovisuelle les plus ambitieuses de l’Histoire (évoquant des auteurs de légende comme Sidney Lumet, David E Kelley, Dick Wolf, André Cayatte…), et ayant osé se conclure par une fin insatisfaisante selon les standards humains (aussi bien orvilliens que contemporains)…
Trois ans se sont écoulés entre 2419 et 2422, mais étant donné la croissance accélérée des enfants moclans (comparativement aux humains), le fils — né fille — de Bortus et Klyden a désormais atteint l’équivalent d’environ quinze ans et est en âge de se préparer au très élitiste "Union Point entrance exam" (soit l’équivalent de Starfleet Academy). Inutile de préciser que découvrir Topa à l’adolescence était un moment très attendu de la série, inscrit dans son worldbuilding toujours millimétré…
Sous couvert d’intérêt pour l’académie militaire et donc pour toutes les activités à bord de l’USS Orville (notamment à travers des holoprogrammes de simulation de commandement), Topa se rapproche alors instinctivement de Kelly, visiblement fasciné par ce genre (féminin) diabolisé dans la société moclane. La XO se fait alors un plaisir de prendre ce jeune "stagiaire" sous son aile…
Dès lors, par petites touches, avec cette infinie finesse que le real Star Trek (1964-2005) savait si bien cultiver à travers ses études de cas en altérité — à l’exemple du chef d’œuvre ST TNG 04x11 Data’s Day — Topa dévoilera (souvent malgré lui) à Grayson son mal-être existentiel indicible, celui de ne pas se sentir mentalement — voire spirituellement — en phase avec l’identité de genre du corps qui lui a été assigné à la naissance. Et pour le coup... non pas assigné par la nature (déjà si souvent imparfaite)... mais par l’artifice des diktats (d’une société totalitaire et procuste).
The Orville 03x05 A Tale Of Two Topas offre donc une radioscopie des conséquences viscérales, ontologiques d’une transition imposée contre le gré de l’enfant, et qui — malgré l’intense conditionnement culturel qui a suivi — n’aura pas réussi à totalement écraser et étouffer l’innéisme... ressurgissant inconsciemment par tous les pores de la peau et par les points aveugles de l’esprit sans même que le sujet ne le comprenne. Durant les très confortables 1h15 de temps utile que compte l’épisode — flirtant d’ailleurs avec le long métrage — toutes les facettes de cette vaste et complexe problématique seront méthodiquement abordés et traités :
l’éveil de Topa à lui-même,
l’empathie de Kelly conduisant à son ingérence, puis à un militantisme de pasionaria,
la confrontation classique entre les vecteurs progressistes (amis et mentors) et les figures conservatrices (parents et famille),
les authentiques dilemmes moraux opposant l’évidence utopique au respect des traditions ritualisées,
les innombrables oppositions discursives (assorties de débats d’idées et parfois aussi d’empoignades physiques) entre tous les points de vue plus ou moins irréconciliables (les idéalistes Grayson et Mercer, l’empathique Bortus, le rétrograde Klyden, la pragmatique amirale Howland de l’Union...),
la plongée holographique dans les minutes du procès de The Orville 01x03 About A Girl (selon le procédé visuel très immersif employé dans ST DS9 05x06 Trials And Tribble-ations),
tout la gamme des tentations de "disclosure" (Kelly lançant un jeu de piste ambivalent qui conduit Topa vers le dossier secret au nom polysémique de Kimbok et relatif à l’opération endurée après sa naissance, Bortus lui fournissant incidemment le mot de passe pour y accéder et découvrir la vérité...),
les incontournables débats sur l’existence versus l’essence et sur l’acquis (ou nurture) versus l’inné (ou nature),
le bonheur impossible de Topa induisant un désespoir susceptible de le conduire au suicide (via un questionnement de la propre "expérience" d’Isaac dans The Orville 03x01 Electric Sheep pour un grand moment trekkien)
les implications stratégiques et géopolitiques apocalyptiques d’une sortie potentielle des Moclans de la Planetary Union,
la tentation de désobéissance des officiers de l’USS Orville envers les ordres directs reçus,
la surérogation du Dr Finn prête à sacrifier sa carrière militaire pour restaurer l’identité de genre de Topa...
Enfin, au terme d’un intense brainstorming, Isaac se proposera lui-même de remplacer Claire pour assurer l’opération de chirurgie transgenre, offrant ainsi une "plausible deniability" à la flotte de l’Union envers le gouvernement moclan — le robot dissident kaylon n’étant ni un officier de la flotte ni même un citoyen de la PU, tout en étant en mesure de télécharger dans son cerveau artificiel les données nécessaires pour s’improviser médecin. Et afin de lui permettre d’intervenir discrètement sur Topa, une vaste opération de diversion sera organisée par les héros complices à l’échelle de l’USS Orville avec un récital public de Bortus, ce dernier se révélant être un cantateur de compétition, interprétant le répertoire musical de pas moins de seize planètes de l’Union. Cela n’empêchera toutefois pas Klyden d’éventer le "cover up", le conduisant à affronter seul Isaac dans l’espoir (bien vain) de bloquer la procédure de détransition.
Topa ayant finalement recouvré son sexe féminin originel, il en résultera une rupture définitive entre ses deux pères, un traumatique reniement par Klyden de son enfant en des termes infamants (« j’aurais préféré que tu ne sois jamais né »), un blâme officiel (mais des félicitations officieuses) par l’amirale Howland au staff de l’USS Orville, une complication des relations entre la PU et les Moclans (absolument pas dupes de ce "montage légal" pour contourner leur législation et leur souveraineté), et la rancœur (voire la haine) de Klyden envers l’Union qui pourrait faire un jour de lui l’homologue pour sa société d’une Teleya pour les Krills...
C’est donc là une magnifique exploration d’une problématique très larger than life appartenant au seul champ de la SF et de l’univers spécifique de The Orville. Mais en même temps, c’est une exégèse psychanalytique transpositionnelle en prise avec les tragédies anthropiques du monde réel, au carrefour les études de genres, des débats diversitaires/identitaires, et de l’intersectionnalité. Le tout traité avec une saisissante choralité (chaque personnage vibre différemment pour composer une symphonie d’ensemble), une immense pudeur (à l’exemple des pensées suicidaires de Topa jamais exprimées), avec une réelle complexité (jusque dans les contradictions que dévoilent la plupart des protagonistes), et une sobriété de forme commémorant le Star Trek bermanien (visuel somptueux mais vraisemblable, musique en général parcimonieuse, prépondérance des dialogues...).
The Orville récolte ainsi sur le temps long les fruits des germes diégétiques qui furent si intelligemment plantés dès le lancement de la série...
En parallèle, The Orville 03x05 A Tale Of Two Topas s’attachera à l’investigation archéologique d’une pyramide appartenant à la civilisation des Hemblicites, vieille de 70 000 à 50 000 ans, mais entièrement disparue à l’ère de la série, et présentant diverses caractéristiques communes aux Égyptiens de la Terre. Par-delà un visuel somptueux et fantasmatique, il faut y voir à la fois un écho et une allégorisation de la propre exhumation de l’identité de genre et de l’expression de genre enfouis en Topa... C’est-à-dire un trésor enterré par la vanité et le dogmatisme humanoïde mais qui ne demande qu’à renaître et s’affirmer.
La découverte de la gigantesque chambre funéraire peut constituer à clin d’œil à l’univers télévisuel de Stargate… tout en évoquant Urquat, la grande cité des Loque’eque eux-mêmes éteints dans ST ENT 03x03 Extinction. L’apparence des Hemblicites, entraperçue grâce à une reconstruction holographique, pourrait quant à elle évoquer les Luxans (comme Ka D’Argo) ou plus exactement les Ilanics de la série Farscape...
Le titre est bien sûr une référence au roman A Tale Of Two Cities de Charles Dickens (1859)...
Le lieutenant alien à tête plate et aux yeux écartés qui croise Kelly dans une coursive (au timecode 9’36) lui adresse un très respectueux salut vulcain. La série se lâche visiblement davantage à chaque épisode dans sa relation génétique assumée à Star Trek. Un plaisir de gourmet qui ne se boude pas.
À s’être fait tresser autant le couronnes, The Orville 03x05 A Tale Of Two Topas devrait être admissible aux notes maximales sur les deux rives…
Malheureusement, l’épisode souffre de failles touchant à la neutralité de regard, à certains simplismes se lovant dans la complexité, et in fine à l’irresponsabilité contextuelles des protagonistes avec la bénédiction du script...
Considérons — le temps d’une expérience de pensée — la problématique à l’envers. Il est certain que tout trekker qui se respecte sera ravi que le·la pauvre Topa ait trouvé dans l’environnement éclairé de l’USS Orville une écoute, une maturité et une solidarité suffisantes pour, non seulement comprendre et compatir à son mal-être, mais surtout pour le solutionner et le guérir nonobstant tous les barrages réactionnaires rencontrés. Ce parcours et cette conclusion constituent donc l’épitomé de l’action militante et sociale idéale pour bâtir un monde plus juste, et il aurait eu tout sa place dans un contexte où l’étude aurait porté sur la victime et elle seule.
Le hic est que le rhème de l’épisode (la naissance de l’identité de genre trans d’un·e adolescent·e) est totalement distinct de son télisme (la résilience de l’Union face à des ennemis létaux plus nombreux que jamais), et il est bien artificiel voire sophistique d’imposer une interaction entre eux. Contrairement aux apparences, l’enjeu de The Orville 03x05 A Tale Of Two Topas ne se limite aucunement à Topa, c’est-à-dire à une question locale, individuelle, personnelle... mais il est avant tout global (la survie de l’Union)… Or même si l’épisode n’a pas cherché à dissimuler cette réalité déterminante (pour ne pas dire vitale), il l’a réduite sur le fond à un simple décorum, au mieux à un prétexte diégétique pour valoriser le courage supposé transgressif des héros n’écoutant que leur sens acéré de la justice sociale.
Ironiquement, Bortus est venu reprocher à son mari Klyden de n’avoir jamais exprimé le moindre doute envers le carcan dogmatique moclan, mais cette remarque serait finalement tout aussi applicable à Kelly, Ed et autres les autres officiers de l’USS Orville. Car eux non plus n’ont jamais douté du bien-fondé de leur positionnement. Et si Grayson s’est parfois remise en question durant l’épisode, c’est uniquement sur le terrain décisionnel (quant au choix d’avoir parlé des problèmes de Topa à ses parents ou encore de l’avoir guidé vers le dossier confidentiel…), mais jamais sur le fond de ses certitudes et sur les buts à atteindre. L’épisode a ainsi entériné le postulat incontestable de la préséance morale du paradigme terrien sur celui des Moclans, le seul point pouvant être débattu étant le modus operandi de son imposition impérialiste.
Soit une manichéisation de la pensée derrière l’apparente neutralité des débats, impliquant une caricature implicite des antagonistes. Klyden devient ainsi un parangon de réac infréquentable, alors que ses choix extrêmes en aval contredisent en réalité son discours en amont. En effet, il avait rappelé dans l’épisode (conformément à The Orville 01x03 About A Girl) être né lui aussi avec un sexe féminin, puis avoir subi une semblable transition dans son enfance... mais après avoir enduré une douloureuse stigmatisation de la part de la société moclane. Un traumatisme qui l’a donc conduit assez naturellement à vouloir épargner à son enfant le même sort (un réflexe parental classique). L’absence de bonheur dans l’ignorance valant mieux à ses yeux que le désespoir dans la connaissance (sic). Une perspective plutôt fine et assurément empathique, qui méritait d’être creusée… Mais il n’y aura rien de tel, car cette potentialité se sera inexplicablement échouée dans une fétichisation religieuse de la "voie moclane" que même un syndrome de Stockholm ne pourrait expliquer (du moins au regard des propos tenus). Et in fine, cela conduira Klyden au plus extrémiste des anathèmes (maudire explicitement Topa), quitte à invalider pour cela le mécanisme de projection paternel (le père semblaient vouloir charitablement aider son enfant, mais il ne restera pourtant qu’une soumission maladive à un dogme). Certes, les parents les plus homophobes peuvent parfois se comporter ainsi dans le monde réel, mais pas s’ils sont eux-mêmes homosexuels.
Franchement, Klyden méritait mieux.
Mais les héros ne relèvent guère le niveau, du moins en termes de maturité et de retenue. Parce que sont les initiatives compatissantes et généreuses de Kelly — et elle seules — qui conduiront l’adolescent·e à envisager l’option du suicide. Ce qui revient à avoir lancé un processus cognitif foncièrement anthropomorphe sur un·e enfant vulnérable, alors qu’elle était mineure et appartenait à une société extraterrestre de culture radicalement différente. Un processus d’indiscrétions et de révélations en cascade qu’il n’est plus possible d’interrompre — sauf à causer davantage de mal — après l’avoir engagé, en vertu de ce qu’avait écrit Alexis de Tocqueville dans son célèbre De la démocratie en Amérique (1835). Un processus qui impliquera notamment de couper Topa de l’un de ses parents, d’en faire une paria aux yeux de ses semblables, et de prendre le risque d’un éclatement tragique la Planetary Union au moment le plus délicat de son Histoire. Et tout ça parce qu’un·e touchant·e ado se posait de légitimes questions sur son identité de genre et que les héros n’écoutant que leur émotions — ou plus exactement leur confort intellectuel — ont transformé cette question en une priorité galactique ou… un besoin pressant.
Inexplicablement, Kelly, Ed et tous ceux qui ont joué aux rebelles aux petits pieds (face aux ordres pourtant élémentaires de l’amirale Howland) se sont retrouvés ici dépourvus de la continence et de la maturité requises pour les complexes relations inter-espèces, alors qu’ils avaient pourtant tous été impeccables dans le douloureux The Orville 01x03 About A Girl (où paradoxalement l’Union avec bien moins besoin des Moclans pour survivre). Comment alors expliquer une pareille régression collective en seulement trois ans ? Faut-il d’ailleurs la corréler avec l’effacement progressif d’Ed Mercer, se bornant à suivre et à subir, comme s’il n’était plus vraiment le capitaine. C’est comme si l’utopie politique se confondait désormais avec la faiblesse relationnelle et/ou avec la prétention morale (combinant vulnérabilité et arrogance), à l’instar de Trip dans ST ENT 02x22 Cogenitor — sujet à une semblable incontinence de justicier social et convaincu d’être porteur de la Civilisation — mais avec des conséquences tragiques (car Enterprise était une série réaliste) et en se faisant lourdement recadrer ensuite par Archer (pour un comportement jugé profondément anti-trekkien avant même l’existence de la Prime Directive).
L’empathie envers la souffrance individuelle d’autrui, une sensibilité aux injustices sociales et identitaires, une parfaite conformité à la doxa des SJW…. exonèrent-elles les officiers assermentés de l’USS Orville pour avoir délibérément désobéi à des ordres directs et explicites de la plus haute instance politique de l’Union (et pas "seulement" de l’amirauté), pour avoir réalisé un montage grossier afin de contourner les lois souveraines d’une civilisation extraterrestre, pour avoir privilégié les désirs immédiats d’un·e enfant mineur·e sur les convictions et les volontés de son père, et surtout pour avoir mis en péril la survie de la Planetary Union et ses milliards de vies au nom du confort d’un·e seul·e ?
Il y a dans cette "équation" un sens des priorités au mieux inconséquent, au pire nauséabond... telle une antithèse (ou un déni) du dérangeant (mais en réalité si trekkien) ST DS9 06x19 In The Pale Moonlight. Que des parents placent leur progéniture au-dessus de toute considération globale n’est pas forcément glorieux, mais cela reste acceptable. En revanche, que tout un équipage — voire que la société entière — subordonne le destin collectif du monde au bien-être d’un proche, c’est indigne et indécent, voire absurde. Une dérive qui atteint son paroxysme lorsque l’amirale Howland se retrouve à expliquer à Kelly et Ed que « si les Moclans font sécession et que l’Union est anéantie par les Kaylons, Topa mourra aussi, et donc sa transition n’aura servi à rien » !!! Sérieux ?! Topa serait-il devenu l’être le plus précieux et le plus sacré de l’univers, serait-il le sujet d’un tel "culte" de la part des héros... que l’amirale en est réduite à leur rappeler un pareil truisme pour les "dégriser" ? À savoir que si la mort de milliards de citoyens anonymes de la PU ne leur importe guère, la perspective du décès de Topa pourrait leur rappeler leur devoir d’officiers et peut-être même le b.a.ba de la cohérence intellectuelle ? Avec en creux une interprétation particulièrement déviante et consistant à suggérer que si la survie de Topa était garantie, sa transition personnelle vaudrait bien le génocide de l’Union !!! Euh... faut-il en rire ou en pleurer ?
Surtout lorsque dans le même temps, la BO — pourtant d’ordinaire discrète et élégante — succombe à des envolées philharmoniques incontinentes pour glorifier l’émancipation du "martyr", tandis que sa "geste de moraline" supplante toutes les autres priorités passés au second plan (au hasard : assurer la survie de l’Union).
Mais bah, loin de cette casuistique, les spectateurs ne sont probablement pas supposés se poser de telles questions tant l’esprit est à la célébration et même à la communion : la victime Topa a été dûment sanctuarisée, l’affreux réac Klyden a enfin quitté le vaisseau des Lumières, et — par le bon vouloir de l’auteur — il n’y a pas eu de clash avec les Moclans.
N’empêche, ce n’est pas parce que l’épisode se termine bien qu’il faudrait se dispenser d’interroger les choix des héros, leur certitude d’avoir raison, leur unanimisme ne laissant la place ni au doute ni à la divergence, et les raisons pour lesquelles ils ont joué aux dés avec la vie ou la mort de civilisations entières...
Comment se fait-il qu’il ne se soit pas trouvé un seul officier de l’USS Orville pour penser d’abord au collectif de l’Union ? Pas même Bortus… qui est pourtant le premier à avoir songé aux répercussions générales ! Pas même Ed... qui est pourtant supposé avoir la hauteur de vue d’un capitaine. Pas même Isaac… alors que sa logique cybernétique impeccable aurait dû le conduire à contrer le plan irresponsable des protagonistes plutôt que les aider à le réussir ! Et même si son objectif était vraiment autocentré (c’est-à-dire en rapport avec sa "dulcinée"), il aurait dû accorder davantage de prix à la vie qu’à la carrière militaire de Claire. Et que dire de Topa lui-même qui prétend déjà être en âge de se préparer au sacerdoce altruiste de la flotte de l’Union... mais qui n’est finalement préoccupé que par ses besoins persos sans jamais songer aux répercussions (aussi bien familiales que cosmiques) ?
À ce niveau de responsabilité, les bonnes intentions et les idéaux trekkiens ne sauraient tout justifier ni tout excuser...
En couplant abusivement une problématique sociologique et un enjeu apocalyptique dans un même épisode, la Main invisible du scénariste a surtout réuni le beurre et l’argent du beurre, peut-être involontairement. Ce qui a pour effet de forcer, et donc de fausser le dilemme moral, laissant à une partie des spectateurs la sensation de s’être fait un peu flouer, du moins à l’aune de la grammaire trekkienne.
Malgré tout, dans la continuité internaliste de la série, il est ambitieux de montrer que la Planetary Union a désormais tendance (malgré elle ?) à déconstruire dans la troisième saison les alliances qu’elle avait réussi à construire dans les deux premières ! L’utopie aurait-elle atteint une masse critique (de dogmatisme ?)... ou un éventuel seuil évolutionniste ?
Alors il ne fait aucun doute que The Orville 03x05 A Tale Of Two Topas est un épisode superbement écrit et interprété, ne faisant l’économie d’aucun dilemme moral ni débat de société, et touchant à des tropes brûlants aussi bien à l’échelle de son univers futuriste que du nôtre contemporain (plus que jamais exposé à diverses compulsions régressives).
Les moments anthologiques y sont nombreux, Isaac est comme à l’accoutumée un vecteur d’altérité exceptionnel (probablement le personnage le plus réussi de la série), et la forme suscite l’admiration.
Mais d’une perspective internaliste et trekkienne, c’est un épisode au militantisme tellement passionnel, au progressisme tellement incontinent… qu’il en perd quelque peu le sens des hiérarchies civilisationnelles, des principes de précaution, du réalisme pragmatique, de la hauteur de vue... à l’inverse de The Orville 03x04 Gently Falling Rain et de The Orville 01x03 About A Girl dont la neutralité et la distanciation étaient proprement kubrickiennes.
La priorisation du logos reste toujours le meilleur garant d’honnêteté intellectuelle et de durabilité. À l’inverse du spectre, le #FakeTrek d’Alex Kurtzman est irrémédiablement plombé par le pathos. Quant à cet épisode de The Orville, il est en quelque sorte sis entre les deux... en s’enfermant dans le seul ethos.
Certains contre-arguments rationnels dans The Orville 03x05 A Tale Of Two Topas (en l’occurrence l’amirale Howland et les ordres officiels du Conseil de l’Union) se limitent en réalité à des alibis de pure forme pour mieux couvrir les choix émotionnels et irresponsables des héros du main cast (Kelly, Ed, Claire, Isaac…), tous tellement solidairement convaincus de leur supériorité morale humaine qu’ils n’ont eu aucun réel scrupule à intervenir dans les affaires intérieures moclanes (au risque de provoquer une tragédie personnelle chez Topa en le forçant à découvrir la vérité), pas plus qu’ils n’ont hésité (ce qui est pire encore) à mettre en péril l’ensemble de l’Union (avec ses milliards de citoyens) pour le bonheur woke d’un seul individu ! En effet, si à la suite de la détransition exécutée illégalement par Isaac au mépris des ordres directs de l’amirauté, les Moclans avaient quitté l’Union, celle-ci aurait alors été incapable d’opposer une quelconque résistance aux Kaylons...
La maturité d’une véritable utopie (avec tous ses corollaires de pluralité, de diversité et de liberté) implique d’être capable d’avaler des couleuvres au nom du devoir et de frustrer parfois ses élans progressistes (quitte même à en devenir ponctuellement politiquement incorrect) au nom de l’intérêt général (et/ou d’une directive de non-ingérence), a fortiori si le pronostic vital collectif est engagé....
Il en ressort que tous les personnages du main cast de The Orville 03x05 A Tale Of Two Topas se sont comportés exactement comme Charles Tucker dans ST ENT 02x22 Cogenitor... mais sans s’exposer — grâce au bon vouloir du scénariste Seth MacFarlane — à la conclusion sans concession de cet épisode référentiel de la série prequelle.
Or ce qui est aisément pardonnable avant la fondation de l’UFP (ou de la PU) et avant la création de la Directive première (ou des Régulations orvilliennes équipollentes)... l’est nettement moins longtemps après !
Mais à vouloir absolument donner raison à l’human way of life orvillienne/trekkienne dans les briques même de l’univers, on glisse imperceptiblement dans le paradigme de Stargate... à l’instar de SG-1 03x05 Learning Curve — un épisode au demeurant sympathique mais dont le curseur épistémologique n’était pas du tout placé au même niveau d’ambition que celui du Real Trek.
Du reste, si Seth MacFarlane avait été pleinement conséquent envers ses hypothèses de départ et audacieux dans le développement comme l’était jadis Star Trek, il aurait dû faire payer cette leçon de wokisme SJW autosatisfaite du main cast au prix géostratégique le plus fort... avec le départ des Moclans et l’affaiblissement critique de l’Union ! Là, The Orville 03x05 A Tale Of Two Topas se serait pleinement assumé et il y aurait eu une vraie dialectique. Mais le manque de courage et de prise de risque dans l’écriture semble un signe des temps, y compris au sein des meilleures productions.
Bref, ce cinquième opus de The Orville New Horizons est à la fois (ou selon la perspective) :
remarquable de justesse, de finesse, de pertinence, de vérité existentielle tant par l’écriture que par l’interprétation…
maladroitement irresponsable et prêchi-prêcha quoique par la Main invisible (et non par le verbe), sacrifiant ainsi la crédibilité du worldbuilding utopique au cœur trekkien progressiste.
L’émerveillement tutoie donc l’exaspération.
BANDE ANNONCE
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