Foundation : Critique 2.02 A Glimpse Of Darkness

Date : 27 / 07 / 2023 à 19h00
Sources :

Unification


FOUNDATION

- Date de diffusion : 21/07/2023
- Plateforme de diffusion : Apple TV+
- Épisode : 2.02 A Glimpse Of Darkness
- Réalisateur : David S. Goyer
- Scénaristes : Jane Espenson & David S. Goyer
- Interprètes : Jared Harris, Lee Pace, Lou Llobell, Leah Harvey, Laura Birn, Cassian Bilton, Terrence Mann, Nimrat Kaur

LA CRITIQUE YR

Dans la mesure où Foundation 02x02 A Glimpse Of Darkness se découpe en trois théâtres diégétiques, en trois histoires, en trois arcs largement distincts (quoiqu’en partie simultanés), cette critique et les suivantes renoueront avec l’organisation thématique adoptée par la plupart des analyses de la première saison.

A

Faisant immédiatement suite au cliffhanger de Foundation 02x01 In Seldon’s Shadow, e-Seldon #2 sort donc de son Prime Radiant tel un génie d’une bouteille. Et il est colère. Il apparaît donc que Gaal l’a bel et bien arraché (contre son gré) au vaisseau Raven qui faisait cap sur Helicon. Puis, à son arrivée sur Synnax, elle l’aura transféré dans le Prime Radiant que Salvor avait rapporté dans ses bagages.
Foundation 01x08 The Missing Piece avait bien montré que Dornick s’était emparée du "poignard mémoriel" de Raych avant de s’embarquer à bord du "cryopod", mais cela n’impliquait pas forcément qu’e-Seldon #2 était emprisonné dedans (puisqu’il semblait être alors dans les systèmes informatiques du Raven). Cependant, il reste en effet possible que l’ombre de Hari n’ait jamais physiquement totalement quitté ce "poignard" (qui serait en fait resté le siège de sa conscience) tout en contrôlant son vaisseau à partir de là. Auquel cas, ce twist n’aurait rien d’incohérent, même si l’intentionnalité de Dornick reste incertaine. En dépit des "adieux" qui précédaient, avait-elle vraiment décidé d’emmener e-Seldon #2 de force avec elle en prenant le "poignard" ? Et si oui, était-ce pour "se venger" en contrariant délibérément ses plans (i.e. en l’empêchant de fonder la Seconde Fondation) ?
Dans le cas où cela n’aurait pas été prévu par les showrunners dès la première saison, voilà tout de même un bel exemple de retcon cohérent (ce que les retcons devraient toujours être mais qu’ils ne sont que rarement). Et finalement, peut-être que Gaal a sauvé la "conscience" de son ancien maître, sciemment ou pas (en dépit de sa colère d’avoir été manipulée et séparée de Raych), car le Raven était en bien mauvaise posture (de son fait).
Néanmoins, de la perspective de Seldon, Dornick l’a empêché d’accomplir sa mission quant à la Seconde Fondation. De plus, en l’enfermant dans son "cryopod", il est resté conscient et impuissant… une torture — presque digne de celle que Cleon XIII a infligé à Azura Odili — capable de rendre folle n’importe quelle conscience (naturelle ou artificielle).
Malgré tout, la tension retombera vite (presque trop au regard de ce que Hari a enduré). Les excuses voire la repentance (apparemment sincère) de Gaal et la situation tragique du Beggar (exposé à l’ouragan en formation) conduira Seldon à prendre sa place à bord comme membre d’équipage virtuel (avec l’avantage d’être quasi-ubique et de contrôler les ordinateurs de bord).

Si dans l’épisode précédent, Gaal (en tant que mathématicienne géniale) avait pris un ascendant écrasant sur sa fille, cette dernière rappellera ses talents de bad ass sur le terrain. Elle affrontera seule la tempête pour débloquer le stabilisateur bloqué par des coraux, puis elle réussira à se maintenir à l’extérieur de la coque pendant le décollage en urgence du vaisseau au ras d’un tsunami (pour un zeste d’Insterstellar). Une séquence d’action haletante mais très équilibrée, impressionnante et pourtant sans tape-à-l’œil, cohérente et pas trop longue, somme toute convaincante et visuellement superbe, jusqu’à cette apothéose au-dessus des nuages apocalyptiques dans la splendeur céleste de Synnax.
Les liens entre la mère et la fille ne feront que se renforcer au fil de l’épisode, Gaal apparaissant finalement fragile et vulnérable, presque plus demandeuse d’une fille que Salvor d’une mère, ou du moins de… quelqu’un. Car si Salvor a quitté Terminus en pleine connaissance de cause (en suivant un appel mystérieux), Dornick était de tout évidence moins prête à affronter la solitude de la perte de tous ses proches (ça lui est tombé dessus brutalement durant le long voyage colonial vers Terminus, il y a seulement quelques jours en temps subjectif pour elle). Une touche de soap assurément, ne venant aucunement du cycle d’Asimov, mais néanmoins très bien dosé (par rapport à la situation) et tirant sa force émotionnelle d’une configuration très SF (donc larger than life).
Petit bonus humoristique : alors qu’elle renvoie à l’un des personnages les plus célèbres du cycle littéraire, Salvor Hardin a l’infortune d’être systématiquement méconnue des échos d’Hari Seldon (qui a pourtant défini son existence entière). Que ce soit celui de Terminus (il y a 138 ans) ou celui du Beggar ("aujourd’hui"), il lui balance invariablement un « Qui êtes-vous ? ». Un petit running gag qui ne se boude pas (car il n’est pas construit au détriment de la crédibilité).

Toujours est-il que ce sont les retrouvailles douloureuses, violentes, contrariées, mais si maïeutiques entre e-Hari et Gaal qui vont donner un coup de fouet à l’intrigue. La crise imminente conduisant à une titanomachie entre Terminus et Trantor, le risque de voir la Fondation devenir l’expression de la domination (si elle vainc l’Empire), la tactique de ne pas intervenir pour favoriser les évolutions naturelles, la prudence de ne pas livrer trop d’informations pour ne pas déséquilibrer les systèmes prédictifs (expliquant la phase de dégoût de Gaal envers son maître et ses mises en garde adressées à Salvor), la nécessité d’un contrepoint historique qui doit impérativement resté caché pour le demeurer (la Seconde Fondation), l’inéluctabilité des imprévus (qui ne peuvent être mathématiquement décrits par construction mais dont l’existence en creux doit toujours être anticipée), les travers de la nature humaine (peu fiable, déviante, corruptible notamment par le pouvoir…) qui sont au cœur même de la psychohistoire (faisant d’elle la discipline redoutable qu’elle est)... ce sont quasiment toutes les têtes de chapitres des premiers romans du cycle d’Isaac Asimov qui sont balayés ici par des dialogues chirurgicaux. Des dialogues simplificateurs aussi (par volonté de rendre ces concepts aisément accessibles), mais pas des dialogues simplistes pour autant, et rendant (en partie) justice à la mécanique heuristique complexe d’Asimov, avec des plans dans les plans et toujours porteurs de leur propre palinodie.

Et justement, on pourra dire que Dornick, celle que e-Seldon #2 qualifie désormais volontiers de "saboteuse", représente le premier imprévu. Déjà, il n’avait pas anticipé le manquement de son complice Raych. Et subséquemment, il ne pouvait imaginer que cette mathématicienne brillante, capable de déceler froidement les germes d’ordre derrière le chaos, puisse un jour se comporter comme une jeune fille de son âge face à des chocs existentiels. La violence extrême du tourbillon que représenta successivement l’assassinat (consenti) de son maître Seldon par son amoureux Raych, l’inexplicable suicide-sacrifice de ce dernier, sa propre plongée (non consentie) dans le cryo-sommeil (du cryopod) pour une rupture sans retour possible d’avec tous ses proches (les colons idéalistes initiaux de Terminus), et enfin la solitude infinie face à une copie virtuelle de son maître se prévalant de son génie manipulateur… et Gaal a été emporté par son dégoût au point de perdre de vue la big picture. Crédible rétrospectivement, la plupart des individus non formés à de telles extrémités auraient d’ailleurs craqué bien moins proprement.
Mais l’enseignement de tout ça est qu’Hari Seldon n’est pas un deus ex machina ! Ce qui permet de remettre certaines pendules essentielles à l’heure.
Et par même occasion, Gaal Dornick cesse d’être une Mary-Sue, ce qui n’a rien non plus d’anodin dans la mosaïque de la série.

Mais c’est en exposant le spectateur à un autre imprévu, un imprévu mythique, que Foundation 02x02 A Glimpse Of Darkness surprendra les plus critiques et les plus désillusionnés. Celui que l’on n’attendait plus, celui que l’on désespérait de voir un jour, celui surtout qui n’avait pas sa place durant l’ère impériale se laisse entrapercevoir… à travers le temps. Le Mulet himself, incarnation vivante de la chute, de ce chaos qui nait quand l’ancien monde est mort et que le nouveau monde n’est pas encore né (comme dirait presque Antonio Gramsci).
Les aptitudes precog de Gaal se précisent (elle ne voit pas dirfectement l’avenir mais seulement avec les yeux de son futur soi, tout comme symétriquement Salvor voit avec les yeux de celle qu’elle fut). Et l’idée conjointe de e-Seldon et de Dornick (elle ne lui refuse plus rien tant elle se sent désormais coupable) est d’utiliser son mentalisme (terme asimovien) pour un "sneak peek" dans la période la plus sombre conjecturée par le Prime Radiant, soit 150 ans dans le futur… si jamais Gaal y vit encore (via une nouvelle séquence de cryo-sommeil). Mais il faudra en passer par une NDE (provoquée par une noyade selon la tradition des prêtres disparus de Synnax) pour forcer ce voyage temporel strictement psychique en elle-même (le fil d’Ariane la raccrochant au présent étant la voix de Salvor). Une expérience impressionnante, sensoriellement et visuellement, dans un monde en plein effondrement, exhalant le carnage, la terreur, le désespoir. Et au milieu des ruines, tel un poisson dans l’eau, le Mulet, le plus puissant de tous les mentalistes, dominant désormais la plupart des territoires qui furent jadis ceux de l’Empire galactique, et face à qui la pauvre Gaal du futur est loin de faire le poids, pas plus que sa fille Salvor, gisant assassinée parmi des montagnes de cadavres !
Mais instantanément, le Mulet saura ! Il saura que celle qui le regarde à travers les yeux de Gaal n’est pas la Gaal de son époque, mais une Gaal du lointain passé impérial !
Sous le choc, c’est le retour brutal dans le "présent", avec cette sensation indicible d’avoir eu une vision interdite, quelque chose qu’il ne fallait pas voir, quelque chose qui a vu en vous, quelque chose qui désormais vous connait.

Épreuve déstabilisante s’il en est, puissamment retranscrite à l’écran… mais qui laissera au connaisseur d’Isaac Asimov une sensation... douce-amère voire schizophrène ! Car c’est tellement ça... et tellement pas ça... à la fois.
Bien entendu, les plus puristes seront fondés à crier au scandale… Car le Mulet incarne l’imprévu du Plan seldonien. Or si une forme de voyage temporel (ce que n’aimait guère en soi Asimov) en dévoile l’avènement plus d’un siècle avant, c’est une "triche" qui retire au personnage... en quelque sorte sa fonction diégétique (et mathématique pourrait-on même dire).
Mais en même temps, si nous sommes bien chez le grand Isaac, ou du moins dans son voisinage, le Mulet ne se limite pas à une fonction. Retirer préventivement la surprise (et tout twist) de l’équation peut permettre de davantage se focaliser sur l’ontologie. Et le peu que Gaal en a vu, assorti du danger que représenterait toute réitération de l’expérience, lui inflige un "handicap" psychologique (et moral), mais sans lui offrir de réel avantage stratégique. Le Mulet demeure donc quand même un imprévu, non plus sur le terrain de l’existence certes, mais sur celui de la causalité.
Dès lors, ce que le Mulet a perdu en fonction, c’est l’épisode qui l’aura gagné :
- en externaliste : faire monter les enjeux au travers d’un foreshadowing, et rassurer une partie des spectateurs quant à la préservation (relative) du Panthéon asimovien (même si le Mulet avait déjà été cité par Gaal comme narratrice hétérodiégétique dès le pilote de la série) ;
- en internaliste : permettre à Gaal (par le fugace accès aux savoir de son alter ego futur) de localiser la très secrète Seconde Fondation dont même Hari Seldon a été exclu lorsqu’il a été arraché au Raven. Une planète nommée Ignis, en orbite d’une étoile à neutron… à seulement un parsec de Synnax (curieux d’ailleurs). Tel un appel silencieux dans l’ether...

B1 ➜ B

Siwenna est une planète des Outer Reach (Spires extrêmes en VF) abandonnée comme tant d’autres depuis un siècle par un Empire sur le déclin, donc en voie de rétrécissement territorial (les mondes les plus éloignés du centre galactique n’étant plus jugés assez rentables). Il en résulte une société politiquement, technologiquement et économiquement sinistrée, fétichisant sa rancœur envers le souvenir de Trantor et terrassée par le chaos mafieux.
Autant dire une terre de mission pour la colonie de Terminus qui n’est pas restée inactive depuis 138 ans. Après avoir simulé la destruction de son système solaire par voie de sursaut stellaire massif (megaflare) en activant le quantum drive de l’Invictus maintenu immobile dans le subspace (une supercherie qui est parvenue à tromper l’empire durant 138 ans !), après avoir bâti sous l’impulsion d’e-Seldon #1 une alliance (pour ne pas dire une société commune) avec les anciens ennemis Anacreon et Thespis, après avoir construit des jumpships (un savoir interdit que l’empire se réservait en exclusivité) par la rétro-ingénierie du vaisseau Invictus (et ne nécessitant plus de Spacers pour contrôler les voyages en hyperespace)... la Fondation a créé The Church Of The Galactic Spirit pour "évangéliser" toutes les planètes progressivement délaissées par l’Empire ! Avec une religion nouvelle adossée à un appareil clérical (dont les clercs sont surnommés Magiciens"), capitalisant sur le caractère en apparence surnaturel et messianique du "fantôme" du Sanctuaire (revenant périodiquement des morts pour guider les hommes vers un nouvel âge anti-impérialiste), et employant des technologies avant-gardistes pour épater les crédules des sociétés redevenues primitives, l’objectif est de "convertir" à la doctrine "mathématico-révolutionnaire" de Seldon, faire grossir les rangs de la Fondation, et implanter des bases militaires dans un maximum de mondes ainsi gagnés à la cause. Bref, "récupérer" toutes les planètes délaissées ou victimes de l’empire. Un procédé assurément manipulatoire, quoique de bonne géostratégie, et qui se reconnecte pleinement au cycle littéraire (où la Fondation employait pour étendre son influence une vaste panoplie d’outils sociologiques y compris des religions fabriquées, considérées comme indispensables à un certain niveau d’évolution pour structurer les civilisations encore embryonnaires).

Mais dans la série, pour les clercs et les frères (en robe de bure) de L’église de l’esprit galactique qui s’aventurent en "terres impies", les dangers sont ceux des premiers pères de l’église (chrétienne). C’est ainsi que le clerc Rees n’est pas crucifié ou cuit à la broche mais se retrouve ligoté à un arbre et foudroyé (au nom de la divinité de la foudre de Siwenna), martyr pour sa foi en les enseignements de Seldon.
Poly Verisof, le jeune garçon qui avait posé des questions impertinentes à e-Seldon #1 dans Foundation 01x10 The Leap est devenu adulte mais est toujours vivant. Il a même acquis le titre prestigieux de Holy Witness (dernier témoin vivant de la précédente visitation de l’écho de Seldon au Sanctuaire). Et il est pionnier et haut clerc de l’église sponsorisée par la Fondation, accumulant une grande expérience de terrain dans les Outer Reach, mais aussi un alcoolisme légendaire (ainsi qu’une addiction de junkie à une drogue nommée "vordaline dust"). Sa longévité est considérable, bien supérieure par exemple à celle des empereurs Cleon. En effet, Poly a plus de 140 années au compteur sans être pour autant senior ou diminué. Mais par-delà la symbolique renvoyant aux patriarches de la Bible (eux aussi souvent épris de boisson), peut-être s’est-il offert quelques séances de cryosommeil (telles Gaal et Salvor) ?
Dans son apostolat prosélyte, Verisof est accompagné de la Brother Constant, la fille — comme son titre religieux de "frère" ne l’indique pas — du directeur de la Fondation Sermak. Débrouillarde et truculente, combinant cynisme et humour, chevauchant un monstrueux "bishop’s claw" apprivoisé (répondant au doux nom de Beki), elle s’emploie à dégriser par des moyens radicaux son "maître" qui ne manque jamais une occasion de se pochetronner jusqu’au coma éthylique. Et pourtant, paradoxalement, ils forment un binôme étonnamment performant et fusionnel, réussissant à s’intégrer à la vie anarchique sur Siwenna, prenant des risques fous pour tenter de séduire la population (naïve mais haineuse et violente) en combinant prêches seldoniens, pseudo-miracles, et utilisations judicieuses de technologies tape-à-l’œil : aura (bouclier énergétique individuel supposé être l’apanage des empereurs de Trantor), hologrammes, lumières dans le ciel... C’est toute la sociologie et l’ambiance du chef d’œuvre Life Of Brian de Terry Jones et des Monty Python (1979) qui est savoureusement reproduite ici, mais augmentée d’une dimension high tech et SF.
Autant dire que l’expérience est aussi surprenante qu’envoûtante...

Mais leur dernier "show" faillit se terminer mal. Constant fut la cible d’un lynchage. Elle ne dut sa survie qu’à son aura vacillante mais aussi à une intervention spectaculaire parfaitement synchronisée et une démonstration de force de Poly, retournant in extremis la situation à leur profit.
C’est un message inattendu de Terminus qui abrégera finalement leur mission sur Siwenna : le Sanctuaire s’est ré-ouvert, après 138 ans de silence (comme l’avait en effet montré la fin de Foundation 02x01 In Seldon’s Shadow).
Ils s’embarqueront donc sur le Spirit Rising, un vaisseau pas plus grand que le Beggar de Salvor (voire de taille moindre), et pourtant en capacité de courber l’espace. C’est-à-dire un mini-"jumpship", dont le voyage en hyperspace est programmable et automatisable (via des "neurodrives") tandis que les passagers activent eux-mêmes de patchs de sommeil durant la traversée. Une illustration éloquente des considérables progrès de la Fondation en plus d’un siècle pour s’autonomiser technologiquement envers le monopole de l’empire.

Après avoir atterri sur Terminus, les deux missionnaires sont accueillis en grande pompe, presque tels des rock stars. Mais l’enthousiasme envers Poly Verisof n’est pas le même dans la gigantesque et superbe salle du conseil de la Fondation... qui commence — mine de rien — à avoir des allures de Trantor... comme certains membres le font d’ailleurs remarquer !
La nuit précédente, le Sanctuaire est sorti de sa lévitation centenaire, s’est auréolé de lumière d’or, puis s’est posé au sol, tandis que le "null field" s’est désactivé. En pleine effervescence, les conseillers débattent donc du choix du représentant à envoyer à la rencontre du "prophète" e-Seldon #1 pour son "second coming". Un honneur qui sera refusé par le directeur Sermak (au profil de technocrate) à Verisof, car son alcoolisme invétéré a fini par ternir son éclat de vétéran seldonien (et Holy Witness). Finalement cette querelle d’égo se conclura par la sélection naturelle du vaillant Gardien Jaegger, homme vigoureux et charismatique, lointain successeur de Salvor Hardin à cette fonction hautement emblématique de la Fondation (remontant à ses origines modestes de colonie fragile).

Si seulement les Terminusiens avaient pu imaginer... Mais l’arrogance précède la ruine, l’orgueil précède la chute, et arx Tarpeia Capitoli proxima.
Devant toute l’assemblée de "fidèles" attroupés autour du Sanctuaire illuminé et attendant avec dévotion la théophanie, le Gardien approche avec assurance et récitera son crédo seldonien, tel Moïse devant le Buisson ardent afin d’entendre la révélation de YHWH.
Mais pour toute réponse à cet acte d’allégeance public au parfum chevaleresque, une force invisible s’empare de Jaegger, le soulève violemment comme un vulgaire pantin désarticulé, lui fera hurler répétitivement le nom de Hober Mallow — apparemment inconnu des Terminusiens mais très signifiant pour les lecteurs d’Isaac Asimov —, puis le preux Gardien est incinéré vivant devant toute la foule, horrifiée, stupéfaite, hébétée.
Rien ne s’est passé comme prévu, la quête désespérée des honneurs a seulement conduit à la mort, plus d’un siècle de dévouement collectif a été noyé dans le sang, et le seul message de "dieu" aura été... un sacrifice humain !
Une scène choc qui rappelle avec force que nous ne sommes pas dans une adaptation audiovisuelle de la Bible... mais d’Isaac Asimov.

En annexe, faut-il s’attarder sur l’emploi du titre "Brother" pour un personnage de toute évidence féminin (aussi bien par le typage internaliste que par l’interprète Isabella Laughland) ? Alors serait-ce une marque d’exotisme attachée à l’église créée par la Fondation, ou bien une évolution épicène du qualificatif "brother" dans la langue anglaise en 242 siècles et selon les planète (en réalité, il est surtout curieux que la langue n’ait pas évolué davantage en autant de temps), ou encore une façon radicale de dépasser dans ce lointain futur les débats cisgenres/transgenres sur la binarité vs. genderfluidité... ou à l’inverse un refus de tout langage inclusif dans le cadre d’un parti pris anti-woke (contrastant délibérément avec une série qui ne manque justement pas de wokisme) ?
Bah, c’est surtout une curiosité, et plutôt rafraichissante... dans la normativité ambiante.

C

Sur Trantor — plus hiératique que jamais avec ses impressionnants anneaux de Dyson — la délégation du Cloud Dominion prend progressivement ses marques dans le palais impérial.
Tandis que la suivante et bras droit de la reine, Enjoiner Rue, dévoile un curieux passif à la cour impériale, Sareth I prend langue avec son futur mari, Cleon XVII. Une séquence de très haute volée, reposant intégralement sur des dialogues ciselés et vitriolés, qui convoquent aussi bien la série I, Claudius (Moi Claude empereur) de Robert Graves et Jack Pulman (1976) que Le souper de Jean-Claude Brisville et Édouard Molinaro (1992). Bien que jeune, Sareth se révèle d’une redoutable lucidité envers les objectifs de l’empereur, l’involution de l’Empire Galactique, et les réalités géopolitiques. Son langage de vérité et son sens de la répartie désarçonne d’ailleurs Brother Day (pourtant difficile à impressionner étant donné son pouvoir et son vécu cumulé) qui, la surprise passée, ne peut dissimuler son estime... Il initiera alors la jeune souveraine aux secrets de la dynastie génétique en passe d’être déposée, la conduisant dans les alcôves les plus secrètes du palais (le mausolée de Cleon I, les réserves de clones en cuves, la galerie des ancêtres...).
La série Foundation fut toujours réticente à regarder derrière les hauts murs du palais impérial. Mais à travers Sareth, c’est toute l’intelligence et la vivacité d’une société infériorisée qui s’exprime, et qui est visiblement bien moins ignorante et aveugle que les prétentions impériales ne le laissent penser.
Bien décidé à "secouer le prunier" d’une dynastie qu’il estime moribonde, comme s’il faisait siens les conseils prodigués par Hari Seldon à son lointain prédécesseur impérial dans Foundation 01x01 The Emperor’s Peace, Cleon XVII joue pleinement le jeu de cette union, quitte à s’aliéner encore davantage ses deux "frères" (Dawn et Dusk), quitte à se livrer à une "pièce rapportée" et à en devenir vulnérable. Donc apparemment aucun "tiroir caché" chez Day... contrairement à Sareth dont la transparence déstabilisante pourrait bien être un voile dissimulant ses véritables intentions...
Les amateurs de péplums théâtraux et de chroniques aristocratiques seront servis, quoique Foundation 02x02 A Glimpse Of Darkness en renouvelle brillamment la tonalité, et pas seulement par son extension futuriste/SF. L’essentialisme s’émancipe ici des protocoles (et des codes du genre), ce qui est très rafraichissant.

Telle une ombre mobilière insaisissable qui hante les salles désertes du palais de Trantor, Eto Demerzel demeure l’infatigable cheville ouvrière de l’empire. Son rôle central montre à quel point le triumvirat impérial est dépendant de sa redoutable efficacité, et cette situation rappelle ironiquement en creux son rôle central dans la version littéraire du Plan Seldon. Mais dans l’adaptation télévisée, elle n’est ni le robot positronique R Daneel Olivaw (pour des questions de droits audiovisuels) ni une alliée de Hari ou de la Fondation. Cependant, à défaut d’être en mesure légale d’explorer sa condition synthétique avec la profondeur dont était capable Isaac Asimov (au-delà même du seul Cycle des Robots), la série en dresse un portrait cybernétique très convaincant, et parfois même déroutant d’inhumanité (notamment grâce à l’interprétation impeccable de Laura Birn), ne laissant jamais transparaître la moindre émotion (pas même en tant que "mère", partenaire sexuelle, ou garde du corps des empereurs), telle une Vulcaine d’élite.
Sa tête ayant été totalement régénérée (après avoir été pour partie "décapitée" dans l’épisode précédent), Eto viendra rendre compte de ses investigations suite à l’attentat perpétré contre l’empereur dans Foundation 02x01 In Seldon’s Shadow : les audits neuronaux de Brothers Dawn et Dusk ne révèlent aucun contact avec les Anges aveugles ni avec aucun autre comploteur potentiel. Pour autant, cela n’innocente pas forcément les deux "frères", car lorsque la technologie permet d’effacer ou réécrire la mémoire, même les viols institutionnels de la psyché peuvent comporter des angles morts. Foundation donne ainsi un aperçu ultra-dystopique (dans la taxonomie cyber-punk) de ce à quoi peut mener la dictature de la transparence.

Demerzel trouvera alors Cleon XVII, songeur, devant l’iconographie mouvante du Mural Of Souls, passant en revue les prestigieuses figures impériales passées, telle l’impératrice Hanlo, ou encore l’impératrice Ammenetik... dont la dynastie fondée 4 000 ans plus tôt dura 2 000 ans et s’étendait sur un territoire quatre fois plus vaste que "maintenant". Par cette belle scène, l’empereur témoigne d’une lucidité sans faille — doublée de mélancolie — face à un empire cleonique qu’il sait en bout de course. Un constat d’impuissance qui sera exacerbé par la scène suivante lorsque Brother Day piquera une colère homérique et dérisoire contre l’entropie, qui finalement reste toujours l’ultime gagnante (en effet !).
Il faut dire que pour avancer sur le dossier de la menace potentielle de la Fondation, Eto suggère avec insistance à Cleon XVII de faire appel au meilleur général de la flotte impériale, Bel Riose. À la seule entente de ce nom (si évocateur pour les lecteurs d’Asimov), l’empereur devient fou furieux, car cet officier de haut rang avait osé désobéir à ses ordres directs, et pire que tout, il s’avéra qu’il avait eu raison de le faire pour remporter une victoire impossible sinon, tout en économisant des vies humaines. Et pour ne rien arranger, il avait le culot d’être très aimé de ses troupes. Tant d’impudence méritait effectivement un châtiment exemplaire ! Riose fut donc emprisonné... mais cependant pas tué car il était malgré tout impossible d’ignorer sa valeur stratégique. Or vu la situation de crise, il devient nécessaire de le "sortir du tiroir", à la façon d’un Lucius Quinctius Cincinnatus.
Avec un art de la psychologie transcrit en formules mathématiques, l’androïde Demerzel avait anticipé le courroux de Cleon XVII, sa durée presque à la seconde près, et son accord final à contrecœur.
L’anecdote révèle à quel point l’empereur est en toute situation bien davantage préoccupé par sa personne et son autorité que par l’intérêt de l’empire et la vie de ses sujets. Ce qu’Aristote, pourtant attaché à la monarchie et à l’aristocratie (à défaut de la timocratie de son maître Platon), décrirait comme l’exemple même d’un système totalement dégénéré...

Conclusion

La surprise est que Foundation 02x02 A Glimpse Of Darkness est une vraie réussite dans chacun de ses trois arcs (Beggar, Siwenna/Terminus, Trantor).
Les dialogues sont tous brillants, denses, nuancés, paradoxaux, sans complaisance... et portés par une discursivité qui semble tout droit sortir des cycles littéraires. Certaines scènes réussissent même à être très intelligemment déstabilisantes : la rencontre multidimensionnelle de Dornick avec le Mulet (« et l’abîme regardait en toi ») ; la "combustion spontanée" (ou désintégration) du gardien Jaegger (plein de dévotion) devant le sanctuaire de Terminus (e-Seldon #1 est-il devenu un monstre ?) ; la sagacité implacable et "déshabillante" de la reine Sareth I du Cloud Dominion ; les méthodes de recrutement de la Fondation dans la lignée des Techno-mages (de Babylon 5)...
Il va sans dire que la forme est toujours optimale, réussissant un juste dosage d’hypnose dans la contemplation hard SF, de viscéralité dans les trajectoires individuelles, et de mesure dans les scènes d’action (saisissantes mais pas envahissantes). L’interprétation est également un sans-faute (y compris du côté des deux Mary-Sue qui ont de toute façon cessé de l’être).

Oh, Isaac Asimov est toujours trahi de bien des manières. Par exemple, le Prime Radiant, supposé matérialiser la praxis de la très mathématique psychohistoire), mais qui possède toujours un pied dans la fantasy. Ou encore, la menace imprévisible par définition (le Mulet)... désormais connue 150 ans avant ! Et bien sûr toutes les tartes à la crème manichéennes de la pop culture hollywoodienne (Star Wars, X-Men, MCU...) qui se tiennent toujours en embuscade, prêtes à imprimer leur entropie... Mais eh, comment y échapper intégralement en 2023 ?
Et pourtant, l’esprit d’Asimov revient obstinément tel un refrain, au détour d’une analyse, dans l’articulation d’une réflexion, au sein d’un schéma sociologique, par une théorie évolutionniste, dans l’utilitarisme religieux, par la force des mythes, dans le vent de l’Histoire... Et l’affleurement soudain de noms aussi mythiques que le Mulet, Hober Mallow et Bel Riose ne laissent planer aucun doute sur l’affiliation et la filiation, même leur concentration dans le temps d’un seul épisode pourrait presque s’apparenter à des vecteurs de ralliement à l’attention des sceptiques et/ou à des gages d’authenticité à l’attention des bashers.
Plus que jamais, la série Foundation fait l’effet d’être un front opérationnel, un théâtre conflictuel où s’affrontent des forces créatives et idéologiques, où s’opposent (au minimum) deux façons radicalement différentes de concevoir la science-fiction. Mais la contribution de Jane Espenson à l’écriture et au showrunning semble être un game changer...

The last but not the least, Foundation 02x02 A Glimpse Of Darkness possède étrangement le souffle singulier de Babylon 5 01x13 Signs And Portents, un épisode jalon dans une œuvre qui était elle-même une héritière idéelle d’Isaac Asimov. Un retour de politesse ?

NOTE ÉPISODE

NOTE ADAPTATION

BANDE ANNONCE



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