For All Mankind : Critique 4.09 Brazil
FOR ALL MANKIND
Date de diffusion : 05/01/2024
Plateforme de diffusion : Apple TV+
Épisode : 4.09 Brazil
Réalisateur : Sergio Mimica-Gezzan
Scénariste : David Weddle & Bradley Thompson & Kate Burns
Interprètes : Joel Kinnaman, Toby Kebbell, Krys Marshall, Edi Gathegi, Cynthy Wu, Coral Peña, Tyner Rushing, Svetlana Efremova, Wrenn Schmidt, Daniel Stern, Jodi Balfour, C.S. Lee, Lev Gorn, Robert Bailey Jr.
LA CRITIQUE YR
En in-universe, un mois s’est écoulé depuis la fin de FAM 04x08 Legacy. Le vaisseau Ranger a pris le temps de solidement s’amarrer à la proue de l’astéroïde 2003LC, réussissant donc cette fois l’opération qui s’était soldée pour XF Chronos par un échec cuisant et deux morts en début de quatrième saison. Telle une antisymétrie ou une revanche sur FAM 04x01 Glasnost...
Cependant, comme la structure polynomiale de la saison le laissait entrevoir, FAM 04x09 Brazil ne décidera pas encore de l’échec ou de la réussite du plus gros casse de l’Histoire humaine. Cette charge pesante reviendra au long final FAM 04x10 Perestroika...
Pour l’heure, l’antépénultième épisode de la saison prolonge adroitement FAM 04x08 Legacy, non pour délayer le propos, mais pour le complexifier — signe de réalisme. Détourner Goldilocks vers l’orbite martienne ne sera pas si "simple", le contraire n’aurait pas été vraisemblable. Qu’il s’agisse des proches des "comploteurs" ou des autorités légales, les suspicions se multiplient de toute part... Et si chaque étape du projet est apparemment franchie sans encombre, de lourds nuages noirs s’amoncellent et menacent sa réussite à moins de 24 heures du dénouement. Dans les coulisses de Happy Valley, déjà le sang a été versé...
Sur Terre, Aleida est devenue malgré elle l’intermédiaire de confiance entre Margo et Sergei jusqu’à permettre leur rencontre secrète à son domicile familial. Pas de mea culpa ni de pardon formel chez la juste endurcie, mais une acceptation et une compréhension par petites touches du parcours hors-norme de sa mentor...
Les deux victimes de la géopolitique contrefactuelle s’imaginent déjà fuir ensemble dans un autre pays, à savoir le Brésil (ainsi que l’indique le titre de l’épisode). Malheureusement, comme chez Terry Gilliam (1985), le rêve se transformera en cauchemar... dans un twist final d’une brutalité qui cueillera tous les spectateurs.
Refusant de céder aux sirènes intoxicantes des happy end individuels, FAM assènera à cette occasion aux spectateurs une douloureuse piqûre de rappel : celle du principe de réalité.
II
Sur Terre, Margo témoignera de sa pleine clairvoyance sur l’étroite surveillance dont elle fait l’objet 24/7, la conduisant à se reposer sur Aleida pour communiquer clandestinement avec Sergei. Du coup, rétrospectivement, ce n’est pas l’épisode FAM 04x08 Legacy qui fut incohérent quant à la rencontre nocturne sur le parking, mais ce sont les deux personnages eux-mêmes qui furent inconséquents à ne pas résister à la tentation de se rencontrer — une faiblesse si humaine. En contrepartie, FAM 04x09 Brazil aura été réaliste pour deux en prenant justement la pleine mesure des conséquences dramatiques : la surveillance permanente de Madison par le KGB l’aura ainsi conduit à repérer Nikulov derrière sa nouvelle identité protégée offerte par les USA. Et tout comme avec le FSB aujourd’hui, les transfuges passée à l’Ouest sont impitoyablement assassinés, soit de façon signée (pour transmettre un message quand bien même ambigu), soit via le "cover up" d’un accident ou d’un suicide.
Le destin de Sergei sera donc scellé : quitter sa nouvelle vie bourgeoise pour Houston revenait à "revoir Margo et mourir".
Mais avant l’heure fatidique de la peine capitale, Madison et Nikulov se retrouveront une ultime fois durant une dernière Cène au domicile d’Aleida, au prétexte d’une vérification astronautique (les compétences scientifiques bien réelles de Sergei faisant parfois défaut à Margo), mais rêvant secrètement d’une fuite commune au Brésil pour se mettre au service de sa jeune et prometteuse agence spatiale.
Preuve que les grands esprits se rencontrent (malgré les distances), Sergei délivrera au cours de ce dernier souper une "prophétie" géostratégique de haute volée qui édifiera Aleida (et même son mari Victor) tout en adoubant (sans le savoir) les menées d’Ed et Dev sur Mars. En effet, selon Nikulov, l’arrivée de 2003LC au voisinage de la Terre monopolisera tous les investissements au détriment de Mars, et comme le nouveau président soviétique est connu pour avoir surtout des préoccupations vénales, l’URSS se retirera logiquement ensuite de M-7 (avant que les USA d’Al Gore ne lui emboîtent possiblement le pas). Décidément, Fyodor Korzhenko pourrait être un avatar de Vladimir Poutine : même génération, même moule tchékiste, mêmes tropismes mafieux...
In fine, par la simple phrase « sans compétition, le progrès est impossible », Nikulov résumera l’axiome même de FAM ! Sa lettre d’adieu sera une parole historique... et un commentaire (subtile) de l’épisode sur la série elle-même.
Pour accentuer à la fois la surprise et la tragédie, le montage de la séquence mortifère finale de FAM 04x09 Brazil parallélise l’euphorie rentrée des deux personnages à la perspective d’un avenir enfin commun loin des frustrations et des cruautés du Grand Jeu. L’un comme l’autre, dans leur chambre d’hôtel respective, dévorent sans complexe des hamburgers surdosés de ketchup (tous les goûts sont dans la nature, mais le symbole reste éloquent). Mais tandis que Margo se documente joyeusement sur l’agence spatiale brésilienne, Sergei... se fait assassiner ! Point de télépathie ici, ni de fil invisible quantique ou transcendant reliant à travers l’espace les deux protagonistes, pas même de grandiloquence scénique : l’une ne perçoit rien et ne ressent rien du trépas de l’autre... malgré le split d’écran. C’est sec, c’est froid, c’est dérisoire, c’est ironique. FAM reste rationnelle, matérialiste, physicaliste.
De la pure Hard SF quoi.
Mais avec un zeste du The Godfather de Francis Ford Coppola (1972). Et baignant dans la fragrance malaisante d’un A Clockwork Orange de Stanley Kubrick (1971) ! Car c’est sur un joyeux Singin’ In The Rain de Cliff Edwards et Joan Crawford sur une vibrante Creole Rhapsody de Duke Ellington que le bourreau du KGB fera son office. Non pas au novitchok, ni au polonium, ni à la dioxine… mais au plomb… d’une balle dans la tempe, assortie ensuite d’une mise en scène macabre (l’arme du crime placée dans la main de la dépouille de Nikulov).
Autant dire une scène appelée à devenir anthologique.
La question maintenant est de savoir si c’est Irina Morozova elle-même qui a commandité cette élimination physique de l’ex-directeur déchu de Roscosmos ? Dans la réalité paranoïaque du KGB, il n’est pas impossible que l’envoi de Margo aux USA fût en réalité un appât (i.e. un piège) destiné à faire sortir Sergei de l’anonymat pour pouvoir l’éliminer ? Ou bien serait-ce son projet — peut-être découvert incidemment par l’œil de Moscou — de fuite au Brésil et donc de "ravissement" de Madison (qui reste un atout précieux pour l’URSS) qui aurait causé cette "liquidation" dirimante de Nikulov ?
Finalement, quid de Margo dans la suite de la série ? Exit la promesse d’élapisme sous d’autres cieux, exit la porte de sortie tropicale, exit le "cheat code". Mais plus elle s’était préparée à l’idée de fuir au Brésil, plus son retour dans l’URSS-de-tous-les-dangers sera pour elle insoutenable… Qu’elle devine ou non que le décès de Sergei n’avait rien de suicidaire (et elle le comprendra certainement...), la mort de son preux fait perdre à ses sacrifices consentis durant si longtemps une grande partie — mais une partie seulement — de leur sens.
Dans tous les cas, Madison est condamnée à rester un personnage tragique, une héroïne antique.
I
Sur Mars, l’adhésion puis l’inclusion de Lee Jung-Gil (qui craint de plus en plus pour sa vie et/ou pour celle de sa femme) au "complot" de Dev/Ed matérialisé par le partage avec les rebelles des "feeds" d’espionnage nord-coréens… va engendrer une réaction en chaîne lourde de conséquences. La découverte par Cho d’un mouchard (sorti des stocks de la NASA) placé par Lee (pour relayer sans fil en loucedé à Ed & co les vidéos de surveillance illicites) conduira le commandant de la délégation nord-coréenne à se plaindre et exiger des Américains une enquête officielle (mention spéciale pour le culot kafkaïen que représente une doléance portant sur l’espionnage illégal d’une activité d’espionnage non moins illégale).
Suite à quoi, Danielle Poole découvrira stupéfaite l’étendue des récents vols de matériel high tech sur Happy Valley. S’ensuivra un brainstorming sur Terre entre Eli Hobson, Will Tyler (parlant désormais pour la CIA), et Irina Morozova (très liée au KGB et en visio depuis la Russie quant à elle)... qui conduira à suspecter un sabotage d’envergure quelques heures avant la séquence de freinage de l’astéroïde Goldilocks par Ranger, mais en se méprenant sur les objectifs et les méthodes (en vertu du traumatique précédent terroriste au Johnson Space Center il y a huit ans). Ce qui aura pour effet tactique la décision "d’activer" simultanément les agents infiltrés et dormants de la CIA et du KGB sur Happy Valley (cf. FAM 04x07 Crossing The Line) — avec le support de toute leur panoplie de méthodes coercitives de voyous — pour tenter d’endiguer la menace existentielle présumée contre l’opération Ranger 2.
Mais imperturbablement, loin des perquisitions à grand spectacle et des roulements de mécanique, le commandant nord-coréen Cho Byung Ho (non-anglophone) mènera de son côté une intelligente enquête d’une redoutable efficacité (car dans la dentelle) : il observera patiemment les enregistrements vidéo de la routine du contrebandier en chef Dale pour détecter sa "disparition" chronique dans l’un des ascenseurs de la base, suggérant donc un accès clandestin aux niveaux -4 et -5 interdits d’accès et dépourvus de caméras de surveillance (car non encore aménagés). Alors avec une lampe torche et une intrépidité digne d’éloges, Cho découvrira seul le pot aux roses... pour son plus grand malheur.
En parallèle, Kelly s’étonnera de plus en plus de la relation fusionnelle entre son père et son patron... alors qu’ils se détestaient cordialement à l’origine. Après quelques vains dénis, Ed se résoudra à lui avouer le désespoir de son veuvage et de son vieillissement, sa volonté chevillé au corps de finir ses jours en luttant pour une cause et non dans le naufrage d’un EHPAD, au fond sa fidélité à la "voie du guerrier" (continuer à se battre peu importe la finalité et les moyens). Or il faut bien admettre que la Planète rouge offre un idéal encore inédit à l’échelle de l’Histoire. Cette confession inspirée et poignante — quelques larmes en renfort mais sans pathos abusif — justifieront rétroactivement et crédibiliseront avec un naturel confondant toutes les contradictions psychologiques et idéologiques apparentes du vétéran au cours de la quatrième saison (confirmant au passage les analyses des critiques précédentes).
Même si ce ressort a été narrativement forcé et artificiellement imposé (par empressement) dans FAM 04x07 Crossing The Line, la série aura réussi à plaider efficacement cette cause, épisode après épisode. En effet, c’est en délocalisant loin de la Terre — en l’occurrence sur Mars — une industrie d’importance vitale que l’humanité pérennisera et sanctuarisera l’expansion spatiale. Soit la seule façon de ne plus subordonner la conquête spatiale à des logiques — et des écueils — exclusivement courtermistes, électoralistes, démagogiques, utilitaristes, ploutocratique, emporocratiques. Mais faut-il encore pour cela avoir une vision impersonnelle, une hauteur de vue au-delà des égocentrismes et des campismes...
Quitte à y perdre un peu en neutralité, la quatrième saison aura ainsi réussi à arrimer moralement les spectateurs au camp des "activistes martiens", apparaissant comme des vecteurs de progressisme global ("for all mankind"), par-delà leurs propres postures néo-identitaires, outre de bénéficier déjà au départ du capital sympathie inhérent à tout rebelle de la culture imaginaire (la jurisprudence SW).
Ainsi, quel spectateur assidu de FAM ne s’est pas découvert un faible pour la frange la plus incorruptible des grévistes de Happy Valley (dépassant par leur niveau d’aspiration les seules luttes salariales), mais aussi pour le survivant anar-libertarien Baldwin, et même de l’entrepreneur libéral-idéaliste Dev Ayesa ? Car quels que soient leurs torts respectifs éventuels (entre naïveté et manipulation selon les cas), ils sont de facto devenus (malgré eux s’il le faut) des agents disruptifs de progrès, par opposition à l’ordre conservateur et à la continuation oligarchique incarnée par l’autorité martiale (Danielle Poole) et en amont par l’alliance-pas-si-contrenature-que-ça entre USA et URSS, entre CIA et KGB, c’est-à-dire entre le capitalisme libéral et le capitalisme d’état, tous deux en quête de surprofits, de productivisme, d’influence.
Dès lors, rien d’étonnant que le cœur des spectateurs se retrouve aux côtés de Dev & Ed dans leur "Ghost Ops de résistance" au quatrième sous-sol, aux côtés de Samantha Massey lorsqu’elle réussit en solo (au moyen d’une substance liquide relâchée en apesanteur) à griller le discriminateur du Ranger pour le remplacer non sans risques par un modèle tweaké, aux côtés de Miles Dale lorsqu’il résiste (mais pour combien de temps ?) à l’interrogatoire puis à la torture en règle infligée — avec la bénédiction de la SJW Danielle Poole — par le duo d’agents du KGB (Timur Avilov) et de la CIA (Mike Bishop), et même peut-être — aussi horrible que cela soit — aux côtés de Lee Jung-Gil lorsqu’il réduit (définitivement ?) au silence son implacable supérieur, Cho Byung Ho (devenu un témoin gênant). Et ce, en dépit d’une parfaite équité axiologique (aucun personnage n’est caricaturé ni démonisé).
Parce que pour la première fois depuis son lancement, FAM tente de s’émanciper de son unique postulat génératif, à savoir la concurrence entre entités/nations rivales (nécessitant notamment une URSS maintenue artificiellement à flot) pour asseoir un nouveau vecteur de dépassement scientifico-astronautique.
Et ce n’est probablement pas un hasard que ce cap soit franchi après que feu Sergei Nikulov a explicitement verbalisé — presque de façon méta — le moteur même de la série jusque-là, justifiant d’une perspective civilisationnelle les choix géostratégiques de Margo (avoir secrètement partagé suffisamment de données avec l’URSS pour lui permettre de rester dans la course). Une telle formulation on screen par l’une des figures emblématiques de la série juste avant de trépasser constitue un authentique passage de relai conceptuel.
Mine de rien, c’est un considérable élargissement du champ épistémologique. C’est donc à partir de ce point que FAM pourrait devenir uchroniquement vraiment ambitieuse…
Conclusion
Moins long que les autres opus de la saison, avec "seulement" 45 minutes au compteur (comme durant l’âge d’or des séries TV), FAM 04x09 Brazil est un épisode-choc qui rappelle brillamment que ce n’est ni au poids ni à la durée que se mesurent la force et la qualité.
Si l’on rétrocède aux seuls épisodes précédents la paternité des quelques faiblesses héritées (irresponsabilité adolescente des retrouvailles sur le parking entre Margo et Sergei ayant conduit à l’assassinat de ce dernier par le KGB, passivité initiale de l’autorité légale de Happy Valley envers Miles Dale après la fermeture d’office de "son" tripot clandestin…), FAM 04x09 Brazil apparaît comme un sans-faute, au même titre que FAM 04x03 The Bear Hug.
Tout au plus, le message visio que Danielle enregistre à son beau-fils Isaiah Johnson (fraichement marié) pourrait laisser transparaître un pathos quelque peu HS... même s’il ravira les trekkers par l’affirmation d’une identité "Trek pride" ! (On notera au passage qu’il n’existe en 2003 que trois séries ST dans la timeline de FAM au lieu de cinq voire six dans la nôtre, à moins qu’il ne s’agisse d’une bouffée de snobisme moorien...)
Toujours est-il que cet avant-dernier épisode de la saison montre sans ambages (ni asepsie) le prix réel de l’idéalisme, il honore à travers un paradigme antique (voire hellénique) ses personnages tragiques (Sergei et Margo), il commente de façon méta l’argument même de l’uchronie (avant de la faire probablement entrer dans une nouvelle ère), il a le courage d’assumer son historicisme (i.e. le sens de l’Histoire) tout en respectant l’ontologie de chaque obédience en présence, et il ose un titre d’épisode conjugué au futur antérieur pour rendre hommage à un rêve partagé qui jamais ne verra le jour. Accessoirement, il tease comme jamais le final FAM 04x10 Perestroika.
FAM 04x09 Brazil est violent, extrême, dérangeant, sans illusion, d’une noirceur irrémissible... mais en même temps psychologiquement nuancé, profondément cohérent (qui plus est rétroactivement), diablement lucide, et dont les ténèbres portent paradoxalement une flamme foncièrement progressiste (tendance universaliste et non wokiste) tant elle ne perd jamais de vue que le destin collectif de l’humanité importe davantage que les drames individuels.
Un grand bravo à Piotr Adamczyk pour avoir campé avec une telle perfection (durant trois saisons et treize épisodes) toute la tragédie orpheline de l’humanisme.
Kudos pour un chef d’œuvre.
BANDE ANNONCE
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