Star Trek Discovery : Review 2.05 Saints of Imperfection

Date : 18 / 02 / 2019 à 14h30
Sources :

Unification


On attendait ce moment depuis longtemps, l’acteur Wilson Cruz faisant partie intégrante du casting principal de la saison 2 de Discovery. La résurrection du Docteur Culber est donc tout sauf une surprise pour qui s’intéresse à la série. Le couple gay qu’il formait avec Stamets était un des arguments publicitaires de la saison 1, et c’est peu dire qu’avec la guerre avec les Klingons et l’incursion dans l’univers miroir, tout développement sur le long terme des personnages avait été mis de côté par les scénaristes. Ce retour est donc logique et la seule véritable question qu’on pouvait se poser, c’était de quelle façon allait-il revenir.

Nous avons donc la réponse cette semaine. Et c’est loin d’être totalement satisfaisant pour moi, même si cela aurait pu être bien pire. La ligne rouge pour moi qu’il ne fallait pas dépasser, c’était d’y apporter un sens religio-mystique. Ce n’est effectivement pas le cas. En fait Stamets, en étant relié au réseau mycélien, sans s’en apercevoir, a permis au réseau en quelque sorte de cloner Culber alors que celui ci était mourant. Ce qui ne me satisfait pas, ce n’est pas le fond, c’est l’explication qui surgit de nulle part et qui est débité en 10 secondes chronos par Stamets.

L’ensemble des explications scientifiques de cet épisode sont du même acabit, assez logiques si on y réfléchit bien, mais tellement mal amenés, tellement mal dialogués et donc tellement mal joués, que cela enlève toute valeur à ce qu’on voit à l’écran. Alors qu’on aurait dû avoir une réponse émotionnelle au retour de Culber, la qualité globale de l’épisode ne le permet simplement pas.

Pour les haters de Tilly, tous aux abris, ce n’est pas l’épisode qui va vous réconcilier avec le personnage. Sa relation hystérique avec son symbiote sporique n’est vraiment pas un atout. Avec la promesse avec le petit doigt, j’ai bien peur qu’on ait crevé le plafond du n’importe quoi. Et c’est dommage, car visuellement, l’épisode est superbe. Outre l’ambiance assez anxiogène, j’ai beaucoup aimé voir le vaisseau coincé entre 2 réalités.

La seconde trame scénaristique concerne le retour de Philippa Georgiou et Ash Tyler sur le Discovery. La présence de ce dernier sur le vaisseau risque d’être difficile pour beaucoup, et on sent la méfiance et l’hostilité à son égard. Ce qui m’a fait rire, c’est que pour une organisation underground, c’est fou comme elle semble connue par tous. La propension de ses membres à s’afficher avec leur insigne m’a vraiment fait penser au S.H.I.E.L.D. de Marvel qui affiche son logo partout, y compris sur les casquettes de ses agents.

Reste l’inflexion dans l’attitude de notre Ex-Impératrice jouée par Michelle Yeoh. Il est logique pour Michael de se méfier d’elle. Pour autant, je vois cette évolution du personnage comme les prémisses de la potentielle future série sur la Section 31 avec Georgiou en tête d’affiche. Je pense qu’il est difficile d’initier cette série avec un personnage principal qui serait à 100 % négatif.

Saints of Imperfection est donc pour moi un épisode moyen qui aurait mérité d’être réécrit, voire de faire l’objet d’un double épisode, pour laisser plus de place à des explications maîtrisées et surtout beaucoup plus d’émotion dans le retour de Culber.

FM

À l’échelle de l’arc sérialisé de la seconde saison, DIS 02x05 Saints Of Imperfection est un épisode charnière car il conclut la mise en place des forces en présence et des enjeux. Au terme de quelques twists attendus (car largement éventés par l’intensive communication de CBS), les protagonistes ont désormais tous un rôle clairement établi tandis que les auteurs ont abattu leurs cartes narratives. Ne subsistent désormais plus que les moteurs du fil rouge catastrophiste (les red burst sont-ils une menace, qui sont les Anges rouges ?), et des fils verts soapy (dans combien d’épisodes le Spock re-recasté va-t-il apparaître, a-t-il commis les meurtres dont on l’accuse, Burnham va-t-elle se réconcilier avec lui, Lorca reviendra-t-il, Saru finira-t-il par devenir le capitaine du vaisseau ?).

Lorsque le capitaine du vaisseau furtif (occultable) de la Section 31, Leland, s’invite à bord de l’USS Discovery sous forme d’hologramme, il apparaît que celui-ci est un vieil ami de Christopher Pike (oui, le monde est bien petit dans le micro-univers de Discovery). Et voilà que Pike dit à Leland sur un ton de connivence : « Last I heard, you were up to your ass in alligators on Cestus III » (« Je vous imaginais aux prises avec les alligators de Cestus III ») !
Au premier abord cette réplique peut sembler anodine, mais voilà pourtant une preuve (de plus) que Discovery foule au pied la continuité du Trekverse…
Soit cela signifie que la Section 31 et même le Starfleet régulier savait dès 2257 que la planète Cestus III appartenait aux Gorns, ce qui implique alors que le célèbre épisode TOS 01x19 Arena sis en 2267 est rétrospectivement ridiculisé : la Fédération est irresponsable et expose ses colonies à la mort, et Kirk et son équipage sont de vulgaires Pieds Nickelés.
Soit cela confirme (une nouvelle fois) que Discovery n’appartient pas à la timeline de TOS (contrairement aux assertions d’Alex Kurtzman) et que sa ligne de temps possède décidément bien davantage en commun avec celle de Kelvin… où tout été inventé et réalisé bien plut tôt et bien plus vite, et où le premier contact avec la Gorn Hegemony avait eu lieu avant 2259 (puisque McCoy avait déclaré dans ST Into Darkness avoir mis au monde une portée d’octuplés Gorns).
Dans les deux cas, Pike témoigne d’un racisme amalgamant bien peu trekkien en qualifiant ironiquement une espèce sentient comme les Gorns "d’alligators".
Bien entendu, un Tartuffe jésuite pourrait d’arguer que Pike et Leland faisaient en faire référence à des vrais animaux crocodiliens natifs de Cestus III, mais il ne serait pas crédible que cela puisse relever des attributions de la Section 31. Il est évident que les auteurs ont voulu se payer une ligne de dialogue pseudo-fun sur le dos de TOS 01x19 Arena quitte à le discréditer totalement.
C’est le même procédé qu’avec Mudd qui fabrique des robots à son effigie dans Short Treks 04 The Escape Artist... au seul motif que 15 ou 20 ans après il aura accès à cette technologie dans TOS 02x12 I, Mudd.
L’avant ou l’après, les relations de causalité, on s’en fiche, seules les associations symboliques et bidons importent.
Pour les showrunners de DIS, Cestus III = les alligators ! Voilà le niveau de Star Trek aujourd’hui.

Le retour de Tyler dans le main cast était acté depuis son recrutement par la section 31 dans DIS 02x03 Point Of Light. Voilà qui est fait, Ash est désormais le contact permanent de la Section 31 sur l’USS Discovery.
Inutile de s’étendre sur les piètres performances de Shazad Latif, aussi bien comme Klingon que comme humain reconstitué. Il n’est là que comme "accessoire soap" au bénéfice de Michael, et il est loin d’être le seul dans la série. Outre Pike (père symbolique) et Tilly (fille symbolique), après Sarek (père adoptif) et Amanda (mère adoptive), et en attendant le nouveau Spock re-recasté et attendu tel le messie, et il y a aussi Mirror-Georgiou – elle aussi en visite sur l’USS Discovery dans son uniforme noir – et qui ne manque jamais une occasion de jouer la carte maternelle dans le Burnham show

L’essentiel de l’intrigue, à savoir le sauvetage de Sylvia Tilly et la résurrection de Hugh Culber reposent sur une science pour rire dont le technobabillage nonsensique bat ses propres records d’humour (involontaire)... et donc de nawak.
Paul Stamets a établi que le "blob" qui a "avalé" Sylvia Tilly est en fait un "concon-téléporteur" l’ayant transporté dans le réseau mycélien.
N’écoutant alors que leur courage (et les beau discours galvanisants de Pike digne d’une brochure de recrutement de l’USAF), l’équipage de l’USS Discovery se lance comme un seul homme à la rescousse de l’enfant prodigue.
La série avait établi à l’origine que le mycelial network était comme un système nerveux irrigant tout l’univers. Mais il a beau permettre d’aller instantanément en tout lieu, celui-ci s’avère minuscule. Il consiste en fait en un parc très géomorphe, supposé édénique, mais aux couleurs exotiques de Pandora (oui, Avatar toujours, comme dans DIS 01x08 Si Vis Pacem, Para Bellum) avec de beaux arbres de contes (quoique certains soient toxiques) et des spores sensients qui brûlent les humanoïdes (comme des feux follets).
La Jahsepp qui a fait venir Tilly a soudain pris physiquement (et non plus seulement mentalement) la forme humaine de May Ahearn... alors qu’elle n’est plus en symbiose avec Sylvia (serait-elle métamorphe ?). Et par la suite, d’autres humains de l’USS Discovery la verront et converseront tout naturellement avec elle.
"May" sollicite alors l’aide de Tilly pour vaincre un "monstre" qui terrorise les siens et assombrit son "paradis". Le vocabulaire qui s’ensuivra sera outrageusement puéril, comme dans les animes pour enfants, le pinkie swear inclus (alias "promesse du petit doigt" de la cour de récré).

De son côté, l’USS Discovery utilise le spore drive pour "entrer à moitié" ("a partial jump" !) dans le mycelial network qui, dès lors, apparaît tel un petit étang depuis l’espace (poétique). Mais Stamets met en garde : le vaisseau sera coupé en deux, impossible de passer directement de l’espace normal à l’espace mycélien (voilà donc un nouveau concept qui se prétend analogique du subespace), au risque de subir le sort très gore de l’équipage de l’USS Glenn. Bizarrement, les équipements du vaisseau, eux, ne risquent rien (la toponymie spatiale est pourtant la même pour les êtres animés et inanimés). En revanche, les humanoïdes peuvent "faire la traversée" via le reaction cube qui fait donc office de "portail", et ensuite, ils peuvent même se mouvoir librement (sans combinaison) dans l’espace mycélien (ce "portail" confère-t-il une immunité, change-t-il la nature des corps physiques ?).
La partie du vaisseau immergée s’échoue à quelques dizaines de mètres de Tilly et de May, tandis qu’un joli "porte d’accueil" avec arc en plein cintre apparaît à la proue du vaisseau pour y accéder (on ne comprend pas d’où il sort, mais c’est commode et joli).
Tous les codes de la fantasy infantiles sont convoqués à la façon du Dixième Royaume ou de Narnia : le "portail" qui permet d’accéder au monde enchanté, les indigènes innocents et naïfs, les pactes entre enfants, le monstre (ou le chevalier noir) qui terrorise tout le monde. Mais les vaillants héros venus de notre monde vont bien entendu sauver le jour...
Ainsi, le prétendu "monstre" se révèle être en fait Hugh Culber qui avait enduit son corps de l’écorce de l’arbre mort ("bark of the yeel tree") en guise de bouclier pour échapper aux brûlures létales infligées par la nuée de Jahsepp. "May" savait que ses compatriotes Jahsepp blessent les corps humanoïdes, elle a même réussi l’exploit de suivre (ou d’atteindre) l’USS Discovery dans notre univers pour "posséder" Sylvia... Et pourtant, la symbiote Jahsepp n’a pas compris d’elle-même (ni même après une première explication) que le "monstre" était juste un humanoïde piégé dans son royaume, tentant de survivre - paniqué et hagard - aux attaques de ses semblables.

Finalement, en lui rappelant quelque souvenirs communs, Stamets réussi à rendre la mémoire à Culber et le guérir instantanément de son traumatisme (c’était si simple).
Le hic, c’est que son "corps sporique" n’a pas de substance dans l’espace normal, il ne peut donc pas passer par le "portail" du "reaction cube". La solution est simple : il lui suffit d’emprunter le "cocon-téléporteur" pour passer de l’univers mycélien à l’univers normal en conservant son corps (mais curieusement ni ses vêtements ni sa barbe d’homme des bois). Par contre Sylvia, qui était entrée dans le royaume enchanté par ce même "concon-téléporteur" (sans y perdre son uniforme), possède quant à elle la capacité de revenir directement par le "portail". C’est la logique désarmante du conte de fées.
Pendant ce temps-là, Tyler a fait appel en renfort au vaisseau de Leland (occulté à proximité) pour que le déploiement de son rayon tracteur évite à l’USS Discovery de s’immerger davantage dans l’espace mycélien. Mais il faudra tout de même à ce dernier le spore drive (et ses sections tournantes à la Stargate) pour regagner l’espace normal !
La partie immergée de la coque du vaisseau aura été profondément endommagée par cette immersion dans l’espace mycélien (qui aura duré environ une heure), le tritanium de la coque exposée ayant été littéralement digéré et décomposé par le mycelia (moyennant une pénétration supérieure à 78%), donc en passe de provoquer la désagrégation de la structure ! Mais aussitôt après avoir regagné l’espace normal, l’USS Discovery redevient instantanément comme neuf ! Un happy end aussi "magique" que le reste de cette Histoire.

Quant à la "résurrection miraculeuse" du Dr Hugh Culber (soi-disant réclamée à cor et à cri par les trekkers étatsuniens selon CBS), elle aura visiblement été improvisée au dernier moment par les auteurs. Car une explication de fortune a beau être avancée dans l’épisode, à savoir que Stamets - dont l’esprit était alors en partie piégé dans le réseau mycélien - aurait fait fonction (par simple contact "joue à joue" et la grâce poétique d’une larme) de vecteur ou de "paratonnerre" (sic !) pour envoyer la "conscience" ou "l’âme" de Culber sur le plan du mycelial network... rien de tout cela ne s’accorde à ce qui avait été montré durant la première saison ! En effet, dans l’épisode DIS 01x10 Despite Yourself, Culber fut assassiné brutalement par Tyler (qui lui a brisé la nuque) et il est mort sur le coup (Stamets l’aura trainé dans les couloirs du vaisseau seulement après sa mort, dans l’épisode suivant). Puis dans DIS 01x12 Vaulting Ambition, Culber est revenu tel un Cicérone de l’afterlife pour guider Stamets entre les univers, avec le degré d’omniscience lumineuse d’un ange du film Always... autant dire aux antipodes du pauvre rescapé de DIS 02x05 Saints Of Imperfection : épouvanté, tétanisé, martyrisé, amnésique, et ignorant tout sur tout.
Bref une écriture tellement bâclée, que le "what the fuck" atteint ici des altitudes stratosphériques... au point de se répercuter sur l’interprétation des acteurs, plus médiocres que jamais.

Dans une œuvre de vraie SF comme est supposée l’être Star Trek, la "résurrection" n’a pas sa place sans une solide explication scientifique.
Or avant 2009, Star Trek n’a jamais véritablement "ressuscité" des personnages : dans ST III The Search For Spock, le corps de Spock fut régénéré par biogenèse artificielle dans le cadre du programme de terraformage accéléré Genesis ; dans TOS 01x17 Shore Leave, le corps de McCoy fut très vite "ranimé" par la science cybernétique du Keeper ; dans TOS 02x08 The Changeling, le corps de Scotty fut lui aussi immédiatement "réparé" par la haute technologie de la sonde Nomad ; et dans VOY 04x12 Mortal Coil, le corps de Neelix fut rapidement "dé-nécrosé" par les nano-sondes borgs (avec en outre un corollaire en renfort de l’athéisme). En somme, il était toujours question de régénérations/réparations des corps immédiatement après leur mort clinique (donc avant leur décomposition), et exclusivement par des moyens technologiques.
Tous les autres "retours" mis en scène entre 1964 et 2005 résultaient soit de fausses morts (simulations de mort apparente, Kirk qui avait été physiquement emporté par le Nexus, Scotty qui était resté dématérialisé dans un téléporteur, etc.), soit de time loops ou d’altérations temporelles rétroactives (engendrant de nouvelles timelines locales ou globales).
En revanche, le cas posé par Hugh Culber est radicalement différent en nature et en essence : le personnage est bien mort biologiquement dans le dixième épisode sans être technologiquement ranimé dans les heures suivantes, sa dépouille inerte est durablement restée à bord de l’USS Discovery en commençant à se putréfier (avant d’être inhumée, d’être incinérée, ou d’être abandonnée dans l’espace) ; et pourtant, sans aucune technologie de clonage, par la seule grâce d’invraisemblables "astro-champignons magiques", la sacralité de "l’âme immortelle" de Culber lui permet aujourd’hui de ressusciter dans un nouveau corps tel un Second Coming... voire dans un corps glorieux tel Jésus-Christ !

Discovery a beau n’avoir encore rien révélé de la nature des Anges rouges... en ressuscitant de manière aussi peu scientifique Hugh Culber au nom du soap, du mélo dégueulando, et de la démagogie... la série vient aujourd’hui de franchir la ligne rouge, celle de la fantasy !
Mais la triste vérité est que, même à l’aune de la fantasy, Discovery 02x05 Saints Of Imperfection est un cancre ! Car "l’élasticité" infinie des propriétés physiques et mentales du réseau mycélien et désormais de ses habitants, capables de tout et du contraire, omnipotents ou imbéciles au gré des besoins ponctuels des scénaristes... cela confère rétrospectivement à tous les postulats de Discovery la fonction ingrate de jokers et à l’édifice de la série un caractère plus branlant et artificiel encore que dans n’importe quelle fantasy digne de nom (alors ne parlons pas de SF...). Les scénaristes seraient-ils des collégiens goguenards qui chercheraient à se payer la tête des trekkers... ou des amateurs de "champignons hallucinogènes" ayant trop lu L’herbe du diable et la petite fumée de Carlos Castaneda ?

Plus la Section 31 se dévoile dans Discovery et moins il subsiste quoi que ce soit de commun avec son homonyme du Star Trek historique - aussi bien dans DS9 que dans ENT.
Comme cela fut analysé dans ma critique de l’épisode DIS 02x03 Point Of Light, dans le Star Trek historique, la Section 31 représentait au pire "l’impôt implicite" qu’un idéal constructiviste (étymologiquement "de gauche") devait payer aux lois naturelles de l’univers (étymologiquement "de droite") pour survivre, au mieux un compromis (voire une compromission) avec les idéaux de la Fédération en période de crise. Mais qu’il s’agisse de realpolitik ou de dérive, Star Trek s’était toujours bien gardé de trancher en laissant aux spectateurs une complète liberté d’appréciation sur la question. Et c’est précisément de cette manière que la franchise parvenait à élever le débat et proposer une authentique réflexion sociologique et philosophique.
Or que reste-t-il aujourd’hui de cette ambition systémique ? Strictement rien en fait. Les showrunners et l’auteure Kirsten Beyer ont visiblement pris la peine de consulter les wikis en ligne (à la portée en trois clics de quiconque n’ayant même pas entendu parler de Star Trek la veille) et de le montrer à tous… en plaçant dans la bouche de l’amirale Katrina Cornwell une référence à l’Article 14 de la charte de Starfleet (contenant la Section 31). Mais cet alibi purement formel dissimule en réalité une incompréhension totale de la place que ce ressort occupait dans l’utopie roddenberrienne.
Il était question d’une zone d’ombre, d’une variable d’ajustement, voire d’un fantasme, n’ayant aucune existence officielle, dont les agents (Sloan, Harris) étaient dépourvus de tout statut inhérent. Même le pourtant omniscient Tal Shiar romulien ne connaissait pas son existence. Il y avait même une dimension allégorique - ou putative - dans le sens où la Section 31 était un alinéa de la charte de Starfleet autorisant certaines dérogations éthiques en situation de crise extrême, ce qui signifiait que la Section 31 était moins une organisation constituée et opérationnelle qu’une latitude laissée à la conscience de tout officier de Starfleet (et finalement du trekker).
Or que voit-on dans Discovery ? Eh bien ce qui était une exception devient une norme, ce qui était un questionnement devient une réponse !
La Section 31 a pignon sur rue, tout le quadrant connaît leur célèbre badge noir, ses membres sont littéralement des rock stars, ils sont recrutés jusque dans les bas-fonds génocidaires de l’univers miroir (façon Suicide Squad), et cette organisation impose sa loi (mafieuse ?) au reste de Starfleet !
Bien entendu, d’aucuns pourraient alors rétorquer : « certes la Section 31 des 22ème et 24ème siècles était peut-être invisibles et discrète, mais ce n’était pas forcément le cas de celle du 23ème siècle ». Sauf que l’argument ne tient guère dans une continuité réaliste, car cela reviendrait à faire passer les héros de DS9, les amiraux de Starfleet du 24ème siècle, et le Tal Shiar pour des incompétents ou des incultes, ignorants ou amnésiques. Mais il est vrai que c’est exactement le discrédit qu’inflige Discovery à toutes les séries suivantes, à l’instar de Kirk et Spock qui découvrent la simple possibilité de boucliers occulteurs dans TOS 01x08 Balance Of Terror, alors que dix ans auparavant, l’Empire Klingon avait littéralement mis à genoux la Fédération au moyen de... boucliers occulteurs !

Lorsque l’amirale Cornwell cautionne ouvertement et officiellement la Section 31 (étant d’ailleurs elle-même à bord du vaisseau occulté, un peu comme l’amiral Marcus sur l’USS Vengeance dans ST Into Darkness), elle prétend alors disqualifier les quelques objections éthiques (essentiellement autocentrées d’ailleurs) du capitaine Pike par un cynique : « Nation-building is never pretty. That is an unappetizing truth, and you know it » («  La création d’une nation n’est pas très jolie. C’est la vérité, peu appétente, mais indéniable. »). Soit une négation insultante des magnifiques paroles d’estime trekkienne de Sloan à la fin du superbe DS9 07x16 Inter Arma Enim Silent Leges (pour mémoire : « The Federation needs men like you, doctor. Men of conscience, men of principle... men who can sleep at night. You’re also the reason Section 31 exists. Someone has to protect men like you from a universe that doesn’t share your sense of right and wrong »).
Cerise sur le gâteau du mauvais goût (et du politiquement correct) : forte de sa sage féminité matriarcale (façon institutrice ou maîtresse d’école), l’amirale prétend renvoyer dos à dos le vertueux Pike et le barbouse Leland sur la base de leur seule masculinité (« Come on, fellas, cut the manlier-than-thou bullshit » (« Arrêtez ces démonstrations de virilité, de grâce »).
À ce moment-là, c’est l’héroïne principale de Star Trek, à savoir la Fédération elle-même, qui est profondément trahie, car son inhérence utopique est foulée au pieds comme jamais elle ne le fut même dans Kelvin. Oui, la plupart des nations historique terriennes furent bâties dans la violence, dans le sang, et sur des mensonges (couverts ensuite par divers mythes fondateurs et romans/récits nationaux). Mais ce n’est justement pas le cas de l’UFP, comme l’avait formellement établi le créateur de Star Trek, Gene Roddenberry, et comme l’avait montré par la suite la série Enterprise. Si au nom de la trivialisation ou de la transposition, la Fédération est réduite au rang de nation semblable à n’importe quelle autre de l’Histoire humaine, alors il ne reste plus rien à Star Trek d’utopique ni même de spécifique. Star Trek cesse d’être un idéal, un modèle, ou espoir… pour n’être plus qu’une SF high tech comme il y en a tant, et totalement substituable aux autres.

Mais il est de plus en plus évident que telle est l’intention des showrunners, et DIS 02x05 Saints Of Imperfection assène deux assertions sans appel :
- UFP = USA,
- Section 31 = NSA (ou CIA) !
Difficile de ne pas se sentir davantage insulté dans sa "Trek pride".
La Section 31 devient en somme synonyme de Starfleet Intelligence (pas assez swagg selon les normes hollywoodiennes ?) ou du moins la dénomination de son service action. Et du coup, dans l’univers actu-transpositionnel de Discovery, la Section 31 et le Starfleet régulier ne sont plus que des agences concurrentes du CSS astro-étatsunien... que la matriarche cynique et désabusée Cornwell exhorte à davantage coopérer. Un lamentable « We are all in same team » (« On est tous dans la même équipe ») – entendu dans un nombre incalculable de productions US à la gloire de l’establishment – vient ponctuer cet échange d’une confondante banalité.
Car la triste ironie est qu’en perdant ses attributs trekkiens les plus éminents, Discovery n’y gagne pas une once de réalisme. Bien au contraire. Car avec des personnages comme Mirror-Georgiou aux répliques involontairement cartoonesques (et comme Leland en "méchant à barbiche" de série Z), la Section 31 de DIS tient davantage de la caricature (hélas involontaire), de la farce, ou d’un sous-SD-6 d’Alias... que des études chirurgicales proposées depuis plusieurs années par des séries de référence comme Homeland, Hatufim, ou Le bureau des légendes.

Mais quitte à insulter la Fédération et Starfleet, DIS 02x05 Saints Of Imperfection ne s’arrête pas là… puisque l’épisode à le culot de donner à Mirror-Philippa Georgiou Augustus Iaponius Centarius le rôle de chevalier blanc. Tout en cherchant à imposer sa volonté à son supérieur Leland par voie de chantage (pour la dissimulation d’une mission ratée sur Deneva), Mirror-Georgiou sort en fin d’épisode à Michael Burnham (inquiète du sort qui pourrait réserver au Lieutenant Spock) : « I want to find him before a vigilante mob does or a posse of trigger-happy Starfleet cowboys » ( « Je veux le trouver avant une foule vengeresse, ou une bande de cow-boys de Starfleet, trop friands de la gâchette ») !!!
Les auteurs "osent tout" sans vergogne aucune : le serpent vicieux et génocidaire du Terran Empire – ayant perpétré des crimes contre l’humanité à l’échelle galactique – prétend désormais donner des leçons de morale, de justice, et de modération à Starfleet ! Soit une réplique particulièrement révélatrice du degré d’incompréhension crasse des auteurs… ou de manipulation décomplexée. La Fédération est-elle devenue à ce point dystopique pour que l’impératrice Ming l’Impitoyable (sortie de Flash Gordon) soit un moindre mal ?! La réalité est que les showrunners tentent de renverser imperceptiblement les rôles pour faire oublier les passifs criminels du personnage en capitalisant sur la capital sympathie de l’actrice (Michelle Yeoh). Est-ce un corollaire (supplémentaire) du soap auquel toute cohérence, toute décence est désormais sacrifiée ?

Tel un écho de DIS 02x02 New Eden, DIS 02x05 Saints Of Imperfection récite à son tour son chapelet de sémiotiques religieuses :
- Le bon pasteur Pike fait référence à sa pieuse cousine qui ne réussissait à être franche qu’en allant à confesse à l’église (le catholicisme est décidément très présent dans l’humanité de Discovery).
- Le capitaine lance la mission de sauvetage dans le mycelial network par un symbolique « Godspeed » (qui pourrait se traduire en français par « À la grâce de Dieu »). Cette formule très connotée, communément employée dans l’armée américaine (et par exemple dans la très contemporaine Stargate), ne s’était en revanche jamais invitée dans l’agnostique Trekverse.
- Mais surtout, dans son prétentieux monologue narratif final, Burnham ne prend pas exactement le chemin de Rome ni encore celui des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, mais assurément celui du déisme propitiatoire, en convoquant tout ce que la foi peut compter d’espérance, de superstition, et de Greater Hand pour la guider et la protéger… Michael convoque ainsi tout le ban et l’arrière-ban du champ lexical du mysticisme de la série Lost, avec le destin (et aussi la destinée glorieuse voire manifeste), les signes cachés, et le besoin de croire même lorsque l’on n’est pas croyant. C’est beau... et tellement anti-trekkien.

Petit rab d’incohérences en vrac :
- L’USS Discovery rattrape la navette de Spock, mais son seul passager s’avère être l’ex-impératrice du Terran Empire Philippa Georgiou Augustus Iaponius Centarius se faisant passer pour la capitaine Philippa Georgiou désormais en uniforme noir. Mais rapidement, l’épisode se prend les pieds dans le tapis, car si au départ c’est explicitement la navette du fugitif retrouvée vide par l’agente de la Section 31, progressivement l’épisode suggère qu’il s’agit de celle de Mirror-Georgiou que l’USS Discovery aurait confondu avec celle du Vulcain… ayant quant à lui réussi à faire disparaître ses traces (et non pas à se volatiliser sans laisser de traces).
- Pike qui ignore pour le moment la provenance Mirror de Georgiou la confond avec son homologue décédée, et déclare la connaître depuis Starfleet Academy (où elle était réputée la plus intelligente). Mais il confond unité de temps et unité de distance… ce qui est curieux dans un contexte aussi pro (« We met at the Academy. Been a couple thousand light-years since »).
- Pour motiver les troupes à voler au secours de Tilly (d’ailleurs en vertu d’une prétendue réciprocité de sa part), Pike assène beau un discours d’endoctrinement : « Starfleet est une promesse, je donnerais ma vie pour vous, vous donneriez votre vie pour moi, on n’abandonne pas les nôtres ». Mais cette dialectique est à la fois une dénaturation et un retcon qui renvoie moins aux idéaux trekkiennes qu’aux confréries d’armes militaires (brothers in arms) à l’instar des Marines que James Cameron aime à exalter (ou encore au « un pour tous et tous pour un » des Mousquetaires du roi selon Alexandre Dumas).
- L’amirale Katrina Cornwell révèle à la fin de l’épisode que les red bursts sont accompagnées d’émissions de tachyons. Aussitôt, Pike et Leland en déduise que c’est un indicateur de voyage temporel ! Certes, la possibilité que les Anges rouges soient finalement des visiteurs du futur est une perspective davantage compatible avec la science-fiction que l’hypothèse d’une manifestation divine. Malgré tout, les showrunners mesurent-ils l’anachronisme ? Ont-ils seulement conscience qu’à l’échelle de l’UFP, le voyage temporel aura été inventé seulement neuf ans après, dans TOS 01x06 The Naked Time, et encore par pure sérendipité. Avant 2266, la simple possibilité du voyage temporel n’avait pas même été envisagée (et l’existence de la Temporal Cold War du 31ème siècle – dont Archer fut le témoin impuissant dans ENT – fut même officiellement contestée par les autorités du 22ème siècle). Ce langage à base de tachyons est celui qu’aurait tenu Picard ou Janeway au 24ème siècle, non Kirk au 23ème. Mais bien entendu Kirk est un imbécile à la ramasse... comme tente de le prouver Discovery épisode après épisode.

La réalisation brouillonne de David Barrett est ici une injure à l’élégance de celle de Jonathan Frake dans le second épisode de la saison.
Dans la grammaire de la fantasy, pour faire contrepoids au caractère fairy tale du "jardin des Jahsepps", toute la moitié de l’USS Discovery plongée dans l’espace mycélien tient lieu de "donjon maudit", en arborant des parures glauques renvoyant à la tradition horrifique de l’Upside Down. Mais à force de chercher à remplir le vide scénaristique, l’épisode finit par se perdre lui-même dans ce dédale de couloirs sinistres à la recherche du "monstre" High Culber.
DIS 02x05 Saints Of Imperfection recourt comme plusieurs épisodes de la première saison à la facilité d’une narration à la première personne de l’héroïne Michael Bunham, alias Mary-Sue. Mais autant ce procédé aux racines littéraires se justifie pour enrichir en subjectivité des drames poignants, autant il tient du cache-misère prétentieux lorsque l’histoire est aussi bancale et inintéressante.
Subséquemment, plus que jamais, Discovery fait l’effet de vouloir "péter plus haut que son cul".

DIS 02x05 Saints Of Imperfection réussit l’exploit improbable d’être sans doute le pire opus depuis le début de la seconde saison voire... depuis le début de la série !
Strictement rien ne tient debout dans cet épisode, tant par rapport à lui-même, par rapport à la série dans son ensemble, que par rapport à la chronologie de Star Trek, par rapport aux fondements utopiques de Star Trek, et par rapport à l’épistémologie de la SF en tant que genre.
Un tel festival d’incohérences et de trahisons donne l’impression d’être à la parade. Un record à marquer d’une pierre blanche dans une série qui en comporte pourtant déjà une masse critique. Le pire des corollaires étant de faire perdre au label Star Trek toutes ses spécificités philosophiques et sociologiques... pour n’être in fine qu’un produit de remplissage quelconque, transposable et interchangeable à loisir.
Quelque épisode précédent, à savoir DIS 02x02 New Eden, avait certes réussi à faire bellement illusion (en dépit d’un flirt équivoque avec la religiosité voire le déisme.
Mais désormais, le masque est tombé.

Depuis 2009, le Star Trek kurtzmanien est progressivement devenu la risée intellectuelle de la SF. Pas seulement si l’on tente de "comparer" DIS au Star Trek historique... mais même si l’on compare DIS aux séries concurrentes actuelles (The Expanse, Nightflyers, Travelers, 12 Monkeys, Counterpart, The Man In The High Castle, Altered Carbon, The 100, Sense8, The Orville...).
Manifestement, "intellectuel" est devenu un "gros mot" si infamant et si dissuasif... que cela fait maintenant dix ans que la nouvelle direction de CBS tente pathétiquement de "s’excuser" pour les quarante années qui ont précédé.

0/5 (et tant pis pour le système de notation d’Unification dont le plancher est 1/5)

YR

EPISODE

- Episode : 2.05
- Titres : Saints of Imperfection
- Date de première diffusion : 15/02/2019 (CBS All Access) - 16/02/2019 (Netflix)
- Réalisateur : David Barrett
- Scénariste : Kirsten Beyer

BANDE ANNONCE





 Charte des commentaires 


Star Trek Strange New Worlds : Critique 2.10 Hegemony
Star Trek Strange New Worlds : Critique 2.09 Subspace (...)
Star Trek Strange New Worlds : Critique 2.08 Under the Cloak of (...)
Star Trek Strange New Worlds : Critique 2.07 Those Old (...)
Star Trek Strange New Worlds : Critique 2.06 Lost in (...)
Avengers - Endgame : Ce que Avengers 4 doit à Logan
Grotesquerie : Critique 1.05 et 1.06
John Wick : Et si... Bruce Willis avait été le tueur à gage le (...)
What If...? : Un nouveau personnage pour faire le lien avec (...)
Suits - L.A. : Un retour de taille dans l’univers (...)
Brèves : Les informations du 27 novembre
Mémoires de Gris : La critique
Il était une fois les séries : Godzilla
Cinéma - Bandes annonces : 27 novembre 2024
Sherlock Holmes 3 : Un nouveau scénario prêt, le projet va-il (...)