For All Mankind : Critique 4.04 House Divided

Date : 08 / 12 / 2023 à 14h00
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FOR ALL MANKIND

- Date de diffusion : 01/12/2023
- Plateforme de diffusion : Apple TV+
- Épisode : 4.04 House Divided
- Réalisateur : Dan Liu
- Scénariste : Sabrina Almeida
- Interprètes : Joel Kinnaman, Toby Kebbell, Krys Marshall, Edi Gathegi, Cynthy Wu, Coral Peña, Tyner Rushing, Svetlana Efremova, Wrenn Schmidt, Daniel Stern, Jodi Balfour, C.S. Lee, Lev Gorn, Robert Bailey Jr.

LA CRITIQUE YR

La crise violente de succession à la tête de l’URSS étant désormais achevée, FAM 04x04 House Divided se focalise sur les conséquences multiples de la prise de pouvoir par Feodor Korzhenko...

Sous l’emprise traumatique et durable de FAM 04x03 The Bear Hug, les spectateurs les plus idéalistes seront fatalement déçus (ou du moins frustrés) de cette brutale régression sociologique de l’URSS étant donné les progrès géopolitiques accomplis entre la troisième et la quatrième saison. Mais n’en déplaise à Karl Jaspers, l’Histoire n’a pas forcément de sens, l’effet cliquet n’est pas assuré dans les régimes autoritaires, et les évolutions ne sont pas unilinéaires. Si l’objectif internaliste se devine sans ambages (un état de rivalité comme inépuisable carburant aux accomplissements spatiaux), le basculement mis en scène ici représente un retour au réel, évitant à la série la propitiation de la fable béate. Tant de réussites à donner des complexes à notre ligne temporelle appelaient au minimum quelques contreparties et écueils... par simple vraisemblance.
Et le scénario de politique-fiction développé dans ces épisodes par FAM tient plutôt bien la route. Pour qui connaît l’URSS d’hier et la Russie d’aujourd’hui, les réflexes obsidionaux demeurent omniprésents au sein du pouvoir en dépit des évolutions cosmétiques, surtout lorsqu’une puissance étrangère dominante extérieure étend son influence culturelle, idéologique, économique. Une réaction de repli sur un socle idéologique ou identitaire historique et un renforcement de l’état sont des mécanismes de défense classiques, aussi bien sous l’égide du nationalisme que du léninisme. L’enterrement de la Guerre froide et l’amitié avec les USA étaient clairement les gouttes de trop pour la vieille garde stalinienne… qui rongeait son frein et s’échauffait telle une cocote minute sous pression… en attendant son heure. Il en résulte donc un brutal hoquet de l’Histoire, tristement crédible. En quelque sorte un réflexe "populiste" mais à la façon soviétique.
Par ailleurs, si Gorbatchev a poursuivi au sein de l’URSS les réformes occidentalomorphes qu’il avait entamées dans les années 80 (jusqu’à reconnaitre les crimes soviétiques comme Katyń), lesdites réformes impliquaient forcément une réduction drastique du pouvoir du KGB. Il ne faut jamais perdre de vue que si l’URSS a rapidement versé dans un régime totalitaire criminel après la révolution de 1917, c’est moins du fait intrinsèque du communisme (trahi et détourné) que du tchékisme… dont le KGB est l’héritier le plus notoire. Dès lors, son retour en force au travers d’une obédience plus conservatrice était logique…
Et malgré l’écart uchronique croissant, il est pertinent que certaines tendances diachroniques se révèlent communes aux deux réalités, ce qui permet à FAM de rester en prise avec l’actu. Ainsi, Korzhenko et ses affidés emploient verbatim exactement la même rhétorique que la Russie de Vladimir Poutine dans notre monde : dénonciation des prétendus impérialisme et hypocrisie occidentaux, lutte contre la vassalisation atlantiste, valorisation du "génie" et du "messianisme" russe, et surtout glorification du génocidaire Staline à travers la Grande guerre patriotique supposée racheter les déportations et les exécutions de masse pratiquées par le même régime (tout en occultant les méthodes de terreur déshumanisantes imposées tels les Приказы № 270 et № 227, les unités de barrage, le NKVD…).

I

En dépit de l’autoritarisme soviétique qui ne tolère officiellement ni opposition ni contestation, le peuple reste très divisé, et cette rupture se détecte tant dans les débats privés qui virent parfois aux échauffourées que par les purges contre tous les ex-collaborateurs et présumés sympathisants de l’administration Gorbatchev déchue.
C’est dans ce contexte que surviendra le drame qui polarisera l’essentiel de l’épisode FAM 04x04 House Divided, à savoir une dispute durant une sortie en combinaison à la surface de Mars entre la pilote Svetlana Zakharova — ayant récemment noué un lien intense avec le XO Ed Baldwin — et Vasily Galkin fervent supporter du nouveau président Feodor Korzhenko. En entendant de la bouche de Galkin les calomnies et les insultes que l’on peut lire à profusion sur les réseaux sociaux russes actuels (comme VKontakte et Telegram), assortie d’une extension ad hominem (« T’es une traîtresse, tu nous dénigres et tu écartes les cuisses pour l’Ouest »), Zakharova perdra son flegme et se laissera emporter en frappant — ou plus exactement en poussant — son compatriote. Celui-ci tombera, et dans sa chute, son "scaphandre" sera gravement percé, l’exposant aussitôt à l’atmosphère toxique martienne. Évidemment, Svetlana fut seulement animée par un geste de colère (au demeurant bien compréhensible), mais elle n’avait aucunement l’intention de blesser et encore moins de tuer Vasily. Elle vola donc à son secours puis appela par radio à l’aide. Mais trop tard : le mal était fait et le pronostic vital fut engagé : coma, maladie des caissons, séjour prolongé en chambre hyperbare, et fort risque d’embolie gazeuse et d’AVC.

Contrairement aux apparences, cette scène n’a rien d’invraisemblable, ni professionnellement, ni psychologiquement, ni matériellement. Au contraire, elle est très réaliste eu égard au contexte posé par la série. Ladite scène témoigne à la fois de l’extrême état de tension qui affecte les ressortissants soviétiques (au seuil de la guerre civile si le régime politique n’était pas aussi liberticide), du passif off screen qui visiblement opposait haineusement Galkin à Zakharova depuis un moment (avec un effet cumulatif), de l’inéluctable banalisation de l’existence prolongée à la surface de Mars (les astronautes finissant par oublier où ils sont dans les moments réflexes), et de l’extrême vulnérabilité de la vie humaine hors du berceau terrestre (tels des escargots tributaires de leur fragile coquille).
Pour le malheur de Zakharova, Galkin est le neveu d’un membre du nouveau Politburo. Or l’URSS avait beau se gargariser d’égalitarisme, elle ne put jamais se défaire vraiment de sa filiation tsariste : les décisions politiques et judiciaires étaient toujours profondément népotiques (aussi bien pour les privilèges que pour les persécutions et les leviers de pression). Dès lors, l’empressement du gouvernement de Korzhenko à rapatrier Svetlana pour la juger était la garantie d’un régime de défaveur avec une sanction disproportionnée à la clef.
Évidemment, il n’en fallait pas davantage pour que l’opinion publique étatsunienne s’en mêle, or il est bien connu que la géopolitique et la morale ne font pas bon ménage. Encore que ladite opinion publique tient surtout ici à celle d’Ed Baldwin qui est personnellement attaché à Sveta (cf. FAM 04x03 The Bear Hug), de Danielle Poole qui refuse de voir courcircuitée son autorité sur Happy Valley, et d’Eli Hobson qui trouve une excitation ludique presque "lavalienne" (du moins au début) à "s’arranger" avec les Soviétiques nouveaux et tout particulièrement avec Irina Morozova, sa nouvelle homologue de Roscosmos (le pauvre déchantera bien vite).

L’épisode capitalise efficacement sur le régime de terreur et d’arbitraire de l’URSS de Feodor Korzhenko si superbement mis en exergue dans FAM 04x03 The Bear Hug pour distiller (en écho) une vive inquiétude quant au sort de Svetlana si celle-ci devait tomber entre les mains des (nouvelles) autorités soviétiques. L’absence d’une justice équitable ne persécutant pas les opinions dissidentes et ne criminalisant par les homicides accidentels légitime donc la réticence des héros de la série à livrer en pâture une collègue compétente et à laquelle ils se sont personnellement attachés. Par projection, cette appréhension sera probablement partagée par les spectateurs… encore que FAM n’ait pas donné tellement d’occasions de se familiariser avec ce personnage féminin discret (seulement apparu dans la quatrième saison).
En même temps, il y a assurément quelque chose de scénaristiquement courageux — de politiquement incorrect diraient certains — à avoir donné le rôle de l’agresseur à la "gentille" russe éprise de libertés et fidèle au lumineux Gorbatchev, et le rôle de la victime à "l’affreux" néo-stalinien anti-occidental.
Il existe une base légale à la demande soviétique de rapatriement de Zakharova à des fins de jugement, puisque cette disposition est inscrite noire sur blanc dans le traité Mars-7 en pareil cas. Pourtant, toute la chaîne opérationnelle américaine se dérobera à cette obligation, officiellement par soucis d’équité, en réalité par solidarité personnelle par affectivité émotionnelle (pour ne pas dire par copinage). Il est donc intéressant de voir à quelles circonvolutions sophistiques les protagonistes américains de la série sont prêts à s’abaisser au nom de ce qu’ils estiment (ou prétendent) être moralement juste, s’il le faut en contournant impudemment les lois ou les traités qu’ils ont pourtant eux-mêmes ratifié. Dans ce registre, le pompon est la manière dont le directeur de la NASA fait feu de tout bois pour se dérober aux demandes légales de Morozova (ou pour la faire plier par voie de bluff), notamment en osant suggérer que les engagements pris envers l’URSS du temps de Gorbatchev ne s’appliquaient désormais plus… avant de noyer le poisson bien maladroitement. Il en résultera chez le spectateur une joie mauvaise à voir la directrice de Roscosmos ne tomber dans aucun des pièges étatsuniens et à pointer sereinement les inconséquences de Hobson. Faut-il y voir une allégorisation de la géométrie variable et des deux poids deux mesures dont le moraliste Occident est périodiquement accusé (à tort ou à raison) quand bien même les régimes adverses seraient liberticides voire criminels ? Toujours est-il que l’URSS menacera de quitter l’alliance M-7 (et son unité se fracturera), tandis que le commandement martien de Danielle Poole cessera d’être reconnu (et les ordinateurs de Happy Valley seront détournés par les Russes).
Avec un réalisme peu conventionnel (quoique frappé au coin d’une lecture marxiste), les "masses populaires" de Happy Valley suivent spontanément une solidarité de classe ou d’injustice sociale et non de nationalité ni de campisme géopolitique. Ainsi, les "plébéiens" américains éprouvent une colère croissante à savoir leur camarade de condition Vasily à l’article de la mort dans un caisson alors que la "patricienne" Svetlana bénéficie d’une impunité par le seul fait du prince (i.e. de la commandante Poole). L’égérie prolétarienne Samantha aura même l’audace de "coincer" Danielle dans son bureau pour la sensibiliser à l’indignation populaire (mais paradoxalement, la commandante aura l’intelligence de l’écouter sans la sanctionner). Et c’est tout juste si Zakharova ne se fera pas lyncher à la fin de l’épisode (cf. aussi la partie III).

Paradoxalement, les deux "pontes" (Poole et Hobson) côté US impliqués dans cette crise ne sont ni des fonctionnaires, ni des carriéristes, ni des opportunistes, ni des démagogues. Ils sont là par vocation voire par idéal (pour servir la collectivité) — l’un comme l’autre ayant derrière eux une carrière méritante et assez de ressources pour profiter de la vie sans travailler. Autant dire que cela éclaire leur détermination et leur prises de décision sous un autre jour…
En évoquant d’hypothétiques voyages touristiques, Katherine Hobson inspirera à son mari Eli une voie originale pour résoudre la crise : confier à l’Inde — à égale distance des deux blocs dans la réalité de FAM comme dans la nôtre — la tenue du procès de Svetlana afin d’en assurer la neutralité. Une porte de sortie (de crise) raisonnable pour préserver les intérêts de toutes les parties (y compris de la prévenue), tout en permettant de réintégrer l’URSS dans le traité M-7 et de restaurer l’autorité de Poole sur Mars. Pourtant Ed ne voudra rien comprendre ni même entendre, estimant que ses désiderata personnels ont valeur de loi (et tant pis si cela conduit au chaos planétaire), attendant de Danielle qu’elle "envoie chier tout le monde" (sic), et se considérant donc trahi en découvrant qu’elle a (légitimement) accepté ce compromis raisonnable.
Ainsi, c’est manifestement le héros principal de FAM qui révèle ici le plus de failles. L’épisode donne à voir un Ed affligé de ses travers clanistes originels accentués par un aheurtement sénile. Ce que met en évidence Poole avec une pertinence de psychanalyste chevronnée, déplorant les décisions de commandement basées sur les émotions et l’affect au détriment de la raison et de la logique (un vrai discours vulcain avant l’heure), et rappelant pour l’occasion l’historique fourni des aveuglements affectifs (suicidaires ou criminogènes) de Baldwin avec par exemple le père Stevens sur la Lune et le fils Stevens sur Mars (en omettant toutefois encore de lever le voile sur le sort funeste de Danny durant l’entre-saisons, ce sera probablement dans FAM 04x05 Goldilocks). Ce point aveugle chez Ed n’a fait que s’accentuer avec l’âge, et il présente désormais toutes les caractéristiques du "vieux con" (sclérosé dans ses défauts, chérissant ses préjugés, incapable de se remettre en question ni de penser contre lui-même, emmuré dans une mémoire sélective, et sacralisant ses traumas et ses rancœurs). C’est d’ailleurs à se demander s’il aime vraiment Sveta (qu’il s’agisse d’un sentiment amoureux ou d’une "fraternité d’armes"), ou bien s’il a besoin d’elle comme pilote auxiliaire pour couvrir son incapacité croissante.
Toujours est-il que ce portrait de la décrépitude (interprété par un Joel Kinnaman pourtant jeune) est psychologiquement (et physiquement) tellement stupéfiant de justesse et de vérité que c’est à se demander si tout le drame de Svetlana n’avait pas pour principale finalité de conduire à cette apothéose de l’expression scénique.

Bref, le moins que l’on puisse dire est que la problématique centrale de l’épisode n’aura épargné personne, ni les Soviétiques ni les Américains, ni les héros ni les seconds couteaux. L’équité figurative et les nuances de gris demeurent toujours au cœur de cet exercice uchronique de haute volée.

Mais si la démystification intentionnelle sur l’autel du réalisme est une audace, il n’en est pas de même de l’invraisemblance involontaire...
Alors que les relations avec l’URSS sont devenues soudain incertaines — avec un sérieux risque de retour aux pires heures de la Guerre Froide —, c’est précisément le moment que choisiront les USA pour monter en épingle un fait divers, victimiser une astronaute soviétique potentiellement homicide, et s’ingérer dans une affaire juridique soviéto-soviétique. En somme, une démonstration morale à contremploi, desservant grossièrement les intérêts américains. Et ce n’est pas comme si un de leurs ressortissants, vassaux, ou alliés avait été attaqué, exposant leur image ou leur crédibilité. Alors certes, la citoyenne soviétique Zakharova est bien sympathique et appréciée de ses collègues étatsuniens, mais dans un monde réaliste, son sort éventuel ne suffit aucunement à violer toutes les juridictions et les souverainetés, qui plus est en compromettant un programme spatial vital et une alliance internationale construite à grand-peine. Si encore Svetlana avait officiellement demandé l’asile aux USA, un dilemme moral aurait pu éventuellement se poser, malgré le précédent de Rolan Baranov (cf. FAM 02x09 Triage) aux conséquences catastrophiques sur la base de Jamestown (cf. FAM 02x10 The Grey).
Et a-t-on seulement demandé à Svetlana ce qu’elle voulait ? Que les Américains décident ainsi pour elle revêt une forme de paternalisme voire d’impérialisme (quand bien même généreux). D’autant plus qu’elle ne peut pas se considérer à l’abri étant donné la "tradition" soviétique (et plus généralement totalitaire) de faire pression voire de persécuter les familles des ressortissants ayant des velléités d’insoumission, a fortiori en cas de retour à des errements staliniens...

Pire, tout se passe comme si Danielle Poole était gouverneur (voire gouvernante) de la nation autonome (voire indépendante) de Mars, moyennant une autorité légale (en fait autocratique) ayant préséance sur toutes les nationalités terriennes stationnées sur Happy Valley. Ainsi, ses décisions de commandement dépendraient de son seul bon vouloir (or vu que Danielle aime bien Zakharova...) et lesdites décisions seraient entièrement souveraines (aucun compte à rendre à personne) ! Il faut d’ailleurs voir avec quelle componction prétentieuse Poole solennise ses actes d’autorité (« MA décision est prise » qui aurait tout aussi bien pu être « J’ai dit ») ; tandis que sur Terre, le directeur de la NASA semble n’être que son petit télégraphiste, condamné au rôle ingrat de vulgaire tampon entre la toute-puissante "présidente" de Mars et le malheureux président des USA Al Gore, furieux quant à lui d’assister impuissant à la ruine tant de son œuvre de paix (enterrement de la Guerre Froide) que des accomplissements de sa prédécesseuse Ellen Wilson (alliance M-7) !
Sérieux ? Cette inexplicable inversion tant opérationnelle qu’organique est relativement ubuesque ! Pour mémoire, Danielle est "seulement" commandante de colonie (en alternance avec les Soviétiques), nommée (et révocable) par Eli Hobson, et aux ordres directs de la chaîne hiérarchique américaine, voire de l’alliance M-7 elle-même (d’où la contestation naturelle de son autorité par les Soviétiques via Yevgeniy dès leur sortie de M-7). Or en situation de crise internationale majeure (pour déni aux Soviétiques de l’exercice de leur droit contractuel à rapatrier un des leurs), toute décision adverse dépasse forcément le seul niveau de Poole pour revenir au minimum au directeur de la NASA ou plus vraisemblablement à l’autorité exécutive (présidentielle).

De plus, en filigrane, il est difficile de ne pas détecter derrière l’ensemble du processus décisionnel (fors la décision finale de livrer Sveta aux Indiens) l’empreinte d’Ed Baldwin ! Tout le drame est en fait raconté de sa perspective émotionnelle (voire sentimentale). Sauf qu’ici ses sentiments personnels pour Zakharova semblent inexplicablement déterminer objectivement les choix politiques étatsuniens au plus haut niveau — et nul ne le conteste ni ne s’en étonne. Alors certes, le réalisme finit pas reprendre le dessus à la fin de l’épisode... lorsque Danielle consent de sa "hauteur" à accepter la médiation juridique des Indiens (comme si c’était de son ressort).
Seulement, même la séquence conclusive où Svetlana est contrainte de quitter la cité martienne devant une foule en colère (contre ses voies de fait impunies) apparaît comme la perte de contrôle de Baldwin sur la réalité qu’il était inconsciemment parvenu à formater à sa convenance jusque-là (tel un Anthony Fremont dans The Twilight Zone 03x08 It’s A Good Life). Du coup, avec cette improbable grille de lecture Ed-centrique, faut-il s’étonner que l’adieu de Zakharova à son chevalier servant (désespéré et décomposé), puis sa traversée de Happy Valley comme si elle arpentait déjà le couloir de la mort, le tout emphatisé par un démonstratif Maybe not de Cat Power s’étendant avec grandiloquence jusqu’à la fin du générique final... convoque les violons larmoyants — pour ne pas dire les grandes orgues — du pathos (de sensibilité féminine) ?!
Une étonnante sortie de route pour cette quatrième saison si sobre et naturaliste jusqu’à présent. Oui, le spectateur a bien compris que tout ça était une terrible tragédie pour Ed. Mais FAM n’est pas le monde imaginaire d’Ed ! Sans rien retirer de ses grandes qualités par ailleurs, FAM 04x04 House Divided semble avoir en partie succombé au culte autocentré de ses personnages principaux (Danielle et Ed) au détriment de la crédibilité de leur univers.

Malgré tout, que ce soit pleinement volontaire ou non chez les scénaristes, par ses propensions autocratiques, l’égérie Danielle Poole se retrouve (presque) pour la première fois écornée ici. Et même son armure SJW, si rutilante dans FAM 04x02 Have A Nice Sol, se voit ternie. Car son réflexe "chevaleresque" initial (protéger Svetlana en refusant de la livrer au Soviétiques) n’était pas motivée par un scrupule d’équité envers la vraie victime (Sveta), mais par une solidarité de classe, qui plus est au mépris de l’intérêt général. Quitte à provoquer une catastrophe géopolitique.
Et que ce soit un poil manipulatoire ou pas chez les scénaristes, l’épisode aura in fine osé s’achever par une véritable injustice : livrer Sveta à l’enfer soviétique. Un sort auquel cette dernière consent stoïquement, faisant d’elle la véritable héroïne (au sens antique) de l’épisode, en dépit de sa culpabilité légale. Derrière des habits de grandiloquence (soapesque) dispensables, cela reste une belle marque de réalisme. Et de courage aussi, puisque à contrepied des attentes des spectateurs.

II

L’autre grande problématique de l’épisode porte sur le baptême du feu de Margo Madison (désormais officiellement Margaret Reynolds) au sein de Roscosmos sous la direction très autoritaire d’Irina Morozova.
La peinture soviétique est une fois de plus stupéfiante d’authenticité, tant par l’ambiance, la langue russe (y compris très technique pour la première fois), les idiosyncrasies, les attitudes... et la prestation proprement bluffante de Svetlana Efremova. Cette dernière parvient à restituer avec le plus grand naturel l’implacable terreur infligée par les hauts dignitaires du régime communiste (où le pouvoir de vie et de mort sur autrui se devine à chaque seconde passive-agressive) et en même temps une sensibilité (voire une tendresse) humaine désarmante (le superbe poème d’Alexandre Pouchkine dédié à Anna Petrovna Kern si bellement déclamé par Irina est un grand moment de l’épisode). Transparaît ici toute la tragédie de l’homo-sovieticus, à la fois coupable et victime, indissociablement... comme en avait témoigné (par exemple) l’inoubliable Est - Ouest de Régis Wargnier (1999).
Et pourtant, pourtant, alors qu’il y a une forme de génie (si si !) dans cette reconstitution historico-uchronique, nanométrée jusqu’aux moindres inflexions... plusieurs partis pris diégétiques s’avèrent problématiques ! Soit une curieuse discordance qui laisse quelque peu perplexe (ou du moins frustré).

Madison est encore ébranlée psychologiquement et même physiquement par son épreuve dans FAM 04x03 The Bear Hug. Sa démarche est lente et claudicante, ses gestes mal assurés, sa mine livide, elle semble avoir vieilli de vingt ans. Une nouvelle fois, le travail accompli par le département "prosthetics & makeup" de la série et par les acteurs eux-mêmes sur le vieillissement de leurs personnages est phénoménal de naturel !
Après avoir pris tant que bien que mal ses marques dans le ballet protocolaire complexe des "soviets" de Roscomos (assistant à toutes les réunions en observatrice ostracisée), après avoir sympathisé (en dépit de la quarantaine déployée prophylactiquement autour de la transfuge qu’elle est supposée être) avec l’ingénieure Tatyana Volkova... Margo se voit confier comme premier travail la contre-vérification du rapport d’enquête soviétique (destiné au M-7) sur l’accident de For All Mankind 04x01 Glasnost.
Elle s’en acquittera avec sa méticulosité proverbiale et découvrira alors une tentative de dissimulation de failles critiques du côté soviétique, à savoir une confusion entre les unités de mesure impériales et métriques (le moment de torsion des boulons exprimé en newton-mètre et non en livre-pied) ! Or ladite confusion s’inspire directement du monde réel ! En effet, une semblable erreur (poussée des micro-propulseurs exprimée en livre-force/sec et non en newton-mètre/sec) avaient été commises par les Américains dans le contrôle de trajectoire de la sonde Mars Climate Orbiter qui s’est désintégrée dans l’atmosphère martienne le 3 septembre 1999 (contribuant à l’abandon du programme Mars Surveyor).
En informant Irina de sa découverte avec transparence, elle y gagnera son estime. Sa nouvelle employeuse lui saura gré d’avoir évité au président Feodor Korzhenko une humiliation internationale. En gage de reconnaissance, elle lui offrira une photographie "affective" des ingénieurs du centre de contrôle soviétique en 1969 où apparaissait Sergei Nikulov, révélant à cette occasion qu’elle en fut une amie proche et une collaboratrice de travail.

Hélas, en contrepartie, Kirill Semenov, l’ingénieur responsable du rapport bidonné (et déjà entraperçu dans FAM 04x01 Glasnost) sera convoqué par Morozova dans son intimidant bureau... en présence de Madison.
Tétanisé, tentant au départ de nier (bien vainement) les conclusions de Margo, il finira par avouer à la fois l’erreur de son équipe (ayant causé l’accident de XF Chronos), sa responsabilité personnelle (en tant que chef d’équipe) dans ce fiasco, mais aussi son "maquillage" (par peur des sanctions). Madison elle-même n’en mènera pas large, s’attendant à tout, surtout au pire...
Sauf que cette fois-ci, dans les lumières de Star City, loin des ténèbres de salles de tortures de FAM 04x03 The Bear Hug, Kirill ne sera pas exécuté sans procès d’une balle dans la tête — la directrice Morozova étant manifestement plus urbaine que le colonel Vidor Kolikoff. Mais en définitive, l’issue sera peut-être la même, car Semenov disparaîtra peu de temps après... en dépit des propos "rassurants" tenus par Irina au seul usage de Margo. En effet, cette dernière croisera l’ingénieure Tatyana Volkova en pleurs : son mentor Semenov venait d’être humilié et embarqué par le KGB.
Malgré son apparente équanimité (qui semble faire illusion auprès de Morozova), Madison en ressortira mortifiée intérieurement, portant sur son visage les stigmates de son parcours initiatique pervers, un clou de plus dans le cercueil de celle qu’elle fut. Superbe prestation une fois de plus de Wrenn Schmidt, déchirante sans une once de pathos.

Alors qu’est-ce qui peut bien clocher dans ce tableau, pourtant d’apparence si réussi, intense et édifiant ?

D’une part la redistribution croisée des torts entre les deux timelines.
Certes, imputer la catastrophe de FAM 04x01 Glasnost (en amont d’évidentes erreurs de commandement opérationnel mais n’y revenons pas...) à une erreur de systèmes d’unités de mesure présente la singularité de s’apparenter à un gag (sorti de Futurama) tout en étant 100% vraisemblable puisque véridique (cela s’est bien produit dans la réalité).
Toutefois, même si le clin d’œil ravira les connaisseurs, il y a quelque chose de narrativement inélégant à imputer à l’URSS de FAM une faute qui dans la réalité revenait aux USA. Déjà que la dure réalité pénalise pas mal le paradigme soviétique, il n’est donc pas très équitable de charger ainsi le radeau, qui plus est de façon aussi gratuite.

D’autre part, la tentative de dissimulation des erreurs soviétiques dans un rapport destiné à des partenaires internationaux.
Oh, il ne fait aucun doute que FAM 04x04 House Divided a remarquablement croqué (et verbalisé) l’un des fléaux qui plombait dans notre réalité les départements scientifiques et tout particulièrement le programme lunaire habité de l’URSS. À savoir la perpétuelle terreur dans laquelle les scientifiques russes (pourtant pas moins compétents en soi que leur homologues étatsuniens) se retrouvaient à devoir travailler... au regard des conséquences possiblement fatales pour eux en cas d’erreur ou d’échec (aussi bien les leurs propres que celles de leurs collaborateurs). Or rien n’est pire qu’un tel climat pour la créativité, a fortiori de pointe, surtout pour qui comprend que l’erreur est le socle premier de toute science.
Il en résultait un tel niveau de dissimulation (et par extension de torpillage et de délation) entre les équipes impliquées (et souvent concurrentes de façon contreproductive) que le Programme Luna du monde réel s’est progressivement transformé en village Potemkine ! Il est vrai une "spécialité" russe depuis l’impératrice conquérante et sanglante Catherine II en 1787...
Cependant, aussi profondément ancrés que soient ces réflexes "d’auto-préservation" dans la psyché collective russe puis soviétique, il demeure largement invraisemblable qu’ils aient également été mis en œuvre au sein d’un rapport d’enquête technique destiné à l’international. D’autant plus que cela fait de nombreuses années que l’URSS de FAM coopère avec les USA — que les Soviétiques ne pouvaient donc sous-estimer.
Parce qu’il existe chez les Russes un moteur plus puissant encore que la dissimulation, c’est le prestige de vitrine (toujours le cas dans notre réalité). Il est donc scénaristiquement totalement inconséquent de faire accroire qu’un ingénieur aussi brillant que Kirill Semenov (et il fallait l’être pour avoir son poste) aurait pu s’imaginer pouvoir enfumer ainsi les Américains (alors qu’il savait parfaitement que son rapport allait être épluché sous toutes les coutures). Si son objectif était bel et bien d’avoir une chance de sauver sa peau, ce n’est surement pas en embarrassant les Soviétiques sur la scène internationale qu’il y allait y parvenir !
En outre, le travail de vérification réalisé par Madison et sa détection d’une hétérogénéité des unités de mesure n’avait en soi rien d’exceptionnel, c’était en réalité à la portée de n’importe quel scientifique ou ingénieur russe. Du coup, derrière les compliments (de façade ?) qu’Irina adresse à Margo, c’est à se demander si tout ça ne serait pas en fait un test de loyauté (et possiblement aussi une évaluation de compétence après huit ans d’inactivité) que lui aurait fait passer sa nouvelle employeuse (ce qui impliquerait que cette dernière eût été déjà informée en amont par un autre canal de l’opération de "maquillage" de Kirill Semenov).

Le background sociologique a donc été impeccablement reproduit et valorisé par FAM 04x04 House Divided, preuve que les showrunners possède une solide connaissance du sujet (ou ont été excellemment conseillés). Malheureusement, la construction narrative de la scénariste Sabrina Almeida n’a pas été à la hauteur du contexte, probablement par désir incontinent de valoriser Margo Madison trop vite et à peu de frais dans ses nouvelles fonctions.
Dans une série standard, de tels raccourcis ou facilités auraient été raccord (et n’auraient donc pas même mérité d’être déplorés). Mais la série FAM a placé la barre si haut (notamment dans sa quatrième saison) qu’elle sera fatalement jugée à l’avenant. Manifestement, n’est pas Andrew Black qui veut.

III

Enfin, FAM 04x04 House Divided réserve l’essentiel de sa SF spatiale et de ses effets spéciaux — invariablement sublimes — aux "lower decks" de Happy Valley.
Cette composante majeure de la quatrième saison prend ici la valeur d’une caisse de résonance de l’actualité et du vent de l’histoire, comme le sont au fond toutes les classes populaires de par le monde. Témoins anonymes, vibrant intensément à la marche du monde, pas moins lucides ni avisés que les élites, mais rarement en situation de pouvoir impacter, d’être écoutés, ou simplement d’être entendus.
Pour prolonger la partie I, la division consumant le peuple soviétique ne se sera pas exportée dans les restes du monde (à la façon du conflit israélo-palestinien dans notre réalité contemporaine) dans le sens où chaque non-soviétique choisirait aussi un camp (genre le communisme libéral vs. le communisme stalinien). Mais ladite division (ayant inspiré le titre de l’épisode) aura métastasé dans Happy Valley par la confrontation physique entre Svetlana et Vasily. Loin d’une opposition idéologique "soviétomorphe" (encore que...), c’est surtout une identification de classe (vocabulaire de gauche cf. FAM 04x02 Have A Nice Sol) ou une sociabilité naturelle (vocabulaire de droite) qui aura poussé le personnel de la bourgade martienne à se positionner : le monde d’en haut avec la pilote agresseuse vs. le monde d’en bas avec l’ouvrier agressé.
Dès lors, presque comme dans le Club des Cordeliers en 1790 ou dans le Soviet de Petrograd (des Mencheviks) en 1917 (ceteris paribus sic stantibus), les esprits s’échauffent, on discute avec passion, et le petit peuple de Mars est traversé par le désir de rétablir l’équilibre confisqué. Samantha Massey se découvrira la première passionaria de la cause, et elle se trouvera même le courage de confronter sans ambages la commandante herself, d’égale à égale, moyennant une influence sur elle inespérée.

Pourtant, il existe quelques (rares) exceptions... qui traversent indifférents ces remous "sociaux" et semblent immunisés contre toute "fièvre" populaire.
C’est bien sûr le cas du trafiquant Ilya Breshov, seulement préoccupé par son business et ses marges bénéficiaires. Ainsi que l’énoncent (en substance) les Règles de l’acquisition, il n’y a pas de mauvaise situation, car toute situation est bonne pour faire du profit. Mine de rien, ce personnage russe mafieux a tout d’un Ferengi. C’est même à se demander s’il n’y a pas comme un vague lien homéomorphe entre cette quatrième saison de FAM et la série ST DS9 (du même Ronald D Moore) pour ce qui est de Quark/Ilya et de son bar. Manque juste les dabo girls...
Plus surprenant, l’ex-employé offshore Miles Dale semble emprunter la même voie. Sa cause à lui est désormais le pognon ! Depuis qu’il a pris connaissance d’un message visio de sa femme Amanda lui annonçant que le petit échantillon d’obsidienne volcanique martienne qu’il avait envoyé à sa fille fut voracement racheté par une bijoutière pour la coquette somme de 5 000 USD, il n’a plus qu’une idée en tête : amasser des "pierres de Mars" et les envoyer sur Terre. Le meilleur spot semble être la Peckinpah Mesa à quelques encablures de Happy Valley. Seul hic, Ilya décline par prudence sa proposition d’association pour faire désormais de l’import-export (et non plus seulement de l’import) avec la Terre (ne voulant pas prendre le risque de sortir de son système éprouvé). De plus, Samantha qui a accès aus rovers refuse de l’y conduire, tant elle est indignée que Miles ne communie pas pieusement à sa cause SJW.
Mais qu’à cela ne tienne, la première frustration passée, Dale décide de "partir à la pêche" en solo et pedibus cum gambis, dans une combinaison rapiécée que lui a fournie le superviseur. Il faut tout de même être compréhensif : c’est une besoin pressant.

Il s’agit en fait de la toute première sortie de Miles à la surface de la planète rouge, un vrai "baptême extraterrestre"... que le spectateur a le privilège de pouvoir vivre à travers les yeux (et la visière) du newbie. Devant ce paysage si désertique et si virginal, écrasant et chatoyant à la fois, baigné d’une lumière ocre irréelle, il est impossible de rester indifférent. C’est littéralement l’exploration d’une nouvelle frontière. Et au passage (quitte à radoter) : quels SFX, à la fois d’une beauté spectaculaire et d’un réalisme documentaire !
Malgré tout, assez rapidement (en temps polynomial du moins), Dale sera saisi par une autre "fièvre". Il inaugurera ainsi sans le savoir une nouvelle ruée vers l’or (obsidien), important sur Mars cette "bonne vieille tradition" du Far West. Sa virée se transforme ainsi progressivement en chasse au trésor... ou aux œufs de Pâques. Pour des moments visuellement fascinants qui ne sont pas sans évoquer la mythique série The Martian Chronicles de Ray Bradbury et Richard Matheson (1980).
Soudain, Miles aperçoit un étrange reflet au sommet d’une colline escarpée. Telle une pie attirée par ce qui brille (ou une phalène par la lumière), il se précipite dans sa direction. Le précieux minerai tant convoité git là, tout offert, hélas… de l’autre côté d’une profonde crevasse ! Mais la tentation est trop grande : alors Dale tend son bras au maximum et s’approche à l’extrême bord de “l’abîme”...
Et que croyez-vous donc qu’il arriva ? Point de suspens ni de surprise ici. Inutile donc de paraphraser l’évidence la plus prévisible. Le moment est cependant tragique car Dale pourrait bien y succomber, surtout que sa chute est spectaculaire, longue et multi-séquentielle. Pourtant, curieusement, l’esprit du spectateur est également traversé de souvenirs de scènes cartoonesques de Tex Avery... Certainement une interférence cognitive malheureuse que la charité la plus élémentaire commande de ne pas interpréter…

Sur Happy Valley, Rick Waters prévient que ça fait cinq heures que Miles aurait dû être revenu. Cette nouvelle angoissante dégrise brutalement Samantha de son activisme, et sans se faire prier, elle s’embarque seule sur le Rover 7 à la recherche d’un collègue auquel elle tient en fait beaucoup — se culpabilisant de ne l’avoir pas accompagné en premier lieu. Arrivée aux abords de Peckinpah Mesa, Massey enfile sa combinaison et suit les traces de pas de Dale qui se découpent encore clairement sur le régolithe. Son effroi atteint son comble lorsqu’elle comprend que la piste mène directement à un gouffre — comme si elle avait été tracée par un suicidaire assez motivé pour ne pas hésiter à sauter le pas.
La bonne surprise pourtant, c’est que Miles est vivant ! Ouf. Il est même conscient, assis au fond de la crevasse à surveiller son niveau d’oxygène qui baisse à vue d’œil, dans l’incapacité à remonter par lui-même, et probablement résigné à une issue fatale. Sa radio est morte, mais Samantha réussit à communiquer avec lui en lançant un caillou sur sa combinaison. Heureusement, le rover est équipé d’un treuil... qui permet de remonter Dale en rappel.
Réfugiés tous deux à l’intérieur du véhicule (qui dispose de son propre support atmosphérique), Samantha soigne le bras de Miles, blessé dans la chute. Elle lui a sauvé la vie, et un long silence romantique est en passe de changer la nature de leur relation... lorsqu’un appel radio de Rick brise le "mood". Une configuration hollywoodienne des plus classiques... qui évite cependant à la saison de verser dans le soap (avec son inévitable triangle amoureux). Du moins pour le moment, car ce n’est probablement que partie remise...

Malgré la splendeur visuelle et l’exotisme alien de l’environnement, grande est la tentation de railler le niveau d’amateurisme et d’irresponsabilité du jackass Miles (tombant comme un gosse dans le premier trou venu)... et par transitivité chambrer cette partie de FAM 04x04 House Divided qui ridiculise ainsi l’un des personnages principaux de la quatrième saison.
Sauf que le caractère presque cartoonesque de certaines scènes témoigne d’un parti pris d’auteur, non seulement intentionnel, mais également plutôt maîtrisé. L’objectif évident est de diversifier les tonalités du show (or l’humour a tendance à se faire plutôt rare dans les séries créées par Ronald D Moore) tout en poussant dans ses derniers retranchements le postulat — et partant l’expérience sociale — de faire venir à la final frontier un "average guy". Un gars pas idiot du tout à la base, correctement formé, possédant plein de compétences techniques... mais sujet périodiquement à des crises d’incontinence, de naïveté, et d’immaturité, c’est-à-dire comme la plupart des humains sur Terre au cours de leurs vies imparfaites. Mais dans un environnement extraterrestre, ça ne pardonne pas (ou au minimum bien moins). Il est cependant probable que Miles tire des leçons essentielles de sa mésaventure. Après tout, « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » disait un certain Friedrich...
Toujours est-il qu’avec Dale, c’est un peu le "pays réel" qui est arrivé sur la planète rouge. Avec ses contradictions, ses folies, ses truculences. Et cette fraicheur est à la fois stimulante et touchante.

Reste la cohérence matérielle. Est-il vraisemblable que Miles — et surtout sa combinaison spatiale — aient survécu à une chute d’au moins 15 mètres (d’après le visuel dans l’épisode) ?
La force de gravité g (ou accélération de la pesanteur) sur Mars n’est que de 3,71 m/s² soit seulement 0,38 celle de la Terre (9,8 m/s²), c’est-à-dire que l’astronaute pèse à peine plus du tiers de son poids terrestre. Auquel il faut tout de même ajouter celui (non négligeable) de son "scaphandre", soit 72 kg si l’on se réfère aux combinaisons lunaires A7L du monde réel (qui ont peut-être été un peu allégées dans l’uchronie de FAM). Donc pour environ le double de sa masse corporelle, Dale pèse ⅔ de son poids terrestre. Sa vitesse d’accélération en chute libre est également presque trois fois moins importante que sur Terre. Mais sa résistance à l’air est aussi bien moindre du fait d’une densité atmosphérique 168 fois inférieure (600 Pa contre 101 300 Pa) quoique ce facteur (△frottements) soit négligeable sur cette faible distance. Sachant que la vitesse atteinte v=√(2⋅g⋅h) et que Ec≈½​⋅m⋅v2 (dans un cas non relativiste), il en ressort une énergie cinétique (en joules) environ 3,5 fois moindre sur Mars que sur Terre lors de l’impact au sol. Donc oui, sa survie est vraisemblable, mais Dale a tout de même eu beaucoup de chance.
Le plus étonnant peut-être dans toute cette affaire, c’est le différentiel avec Galkin ! Vasily tombe seulement de sa hauteur (certes un peu poussé par Svetlana) et sa combinaison est mortellement percée (pénétration de l’air martien empoisonné puis coma rapide), tandis que Miles tombe de plus de 15 m, et il en est seulement quitte pour avoir sa radio endommagée et une légère blessure au bras ! Enfin bon, à l’instar des bons et des mauvais chasseurs, il y a aussi les bonnes et les mauvaises chutes, et la hauteur ne change rien à l’affaire (!?), l’intelligence non plus d’ailleurs.

On notera enfin l’extraordinaire autonomie dont jouissent les "working class" de Happy Valley, mais aussi leur compétence de terrain. Samantha Massey aura été d’une redoutable efficacité de secouriste tout du long (alors que ce n’est même pas sa fonction officielle) : pilotage du rover, pistage à la surface, maniement du treuil, secourisme médicalisé... et le tout avec un naturel confondant, sans même appeler qui que ce soit à l’aide ! Bluffant ! Mais que reste-t-il à l’élite autoproclamée ?

Conclusion

Rarement un épisode de FAM aura été aussi écartelé, en infligeant une telle douche écossaise aux spectateurs. Le meilleur y côtoie le pire le trivial.
Néanmoins, le meilleur tire son épingle du jeu et remporte largement le duel qualitatif. Parce que tous les personnages (féminins comme masculins, coupables comme victimes) en prennent finalement pour leur grade, offrant un portrait nuancé et non-manichéen. Mais aussi parce que les quelques gaffes narratives peuvent être rédimées par la solidité sans faille d’un background. Il y aura toujours une prime majeure à l’internalisme et au worldbuilding... car ce sont bien les éléments les plus complexes à développer, et donc les plus méritants et plus gratifiants lors d’un bilan comptable.

Dans les trois saisons précédentes de FAM, les showrunners (Ronald D Moore en tête) ne s’étaient pas trop mouillés politiquement quant aux coulisses de l’alter-URSS, car hormis quelques détails-clefs (donc essentiels comme la survie de Sergueï Korolev au-delà de 1966 et croisé dans FAM 02x07 Don’t Be Cruel), la série se contentait de mettre en scène l’Union Soviétique de notre réalité avec les mêmes dirigeants, les mêmes politiques/idéologies, les mêmes méthodes… mais qui conduisaient inexplicablement à des résultats profondément divergents. Pourtant, cette URSS aurait dû être suffisamment différente en amont pour avoir été en capacité de réussir là où, dans notre historicité, elle avait échoué. Et envoyer des hommes sur la Lune dès 1969 n’est pas un accomplissement anodin qui autorisait une quelconque économie de △causalités (au regard de la masse critique de causes structurelles à cette issue "in real world"). D’où la sensation persistante dans FAM d’une "URSS magique" réduite à une seule fonction, celle d’un aiguillon pour les USA dans leur course à l’espace.
Avec la quatrième saison, pour la première fois, les showrunners auront eu le courage — la chronologie aidant — de mettre en scène des dirigeants soviétiques distincts conduisant à des politiques potentiellement distinctes aussi... quand bien même rétrogrades ou circulaires en apparence c’est-à-dire toujours plombées par leurs travers passés (mais ne concluons pas trop vite, car la saison n’est pas achevée...). Il est certes permis (et même recommandé) de questionner tels ou tels choix d’évolutions ou d’involutions, mais ils ne sont pas en soi moins légitimes que des conjectures de Hard-SF sises dans le futur. Et au moins désormais, FAM assume davantage on screen l’axiome selon lequel des conséquences différentes résultent forcément de causes et/ou de conditions différentes.
Non moins important sur le versant narratif, en accordant une place significativement accrue aux Soviétiques (nombre impressionnant d’acteurs russes et/ou parfaitement russophones, place de la langue russe qui représente désormais le tiers des dialogues à l’écran, compréhension plus fine des rouages du système, sensation d’authenticité accrue...), la quatrième saison permet à l’URSS de sortir de son rôle-fonction strictement utilitaire. Désormais, les personnages soviétiques sont de vrais protagonistes. Signe d’une montée en ambition, donc en difficulté... et donc aussi en sévérité.

Par son déséquilibre flamboyant — tant de force et d’acribie et pourtant trop de dérapages incontrôlés — FAM 04x04 House Divided navigue au voisinage des sphères du Солярис (Solaris) d’Andrei Tarkovsky (1972), mémorable pour être un chef d’œuvre... bourré de défauts ! Il est de ces oxymores paradoxaux qui se rencontrent au détour des œuvres d’auteurs et des films à thèse...
Alors un 4/5 peut éventuellement sembler excessivement sévère pour un épisode comme FAM 04x04 House Divided. Mais le niveau d’exigence que s’impose aujourd’hui For All Mankind... appelle tout autant d’exigence chez les spectateurs.

NOTE ÉPISODE

BANDE ANNONCE



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