Foundation : Critique 2.10 Creation Myths
FOUNDATION
Date de diffusion : 15/09/2023
Plateforme de diffusion : Apple TV+
Épisode : 2.10 Creation Myths
Réalisateur : Alex Graves
Scénaristes : David S. Goyer & Liz Phang
Interprètes : Jared Harris, Lee Pace, Lou Llobell, Leah Harvey, Laura Birn, Cassian Bilton, Terrence Mann, Nimrat Kaur
LA TURBO-CRITIQUE YR
Le dantesque Foundation 02x09 Long Ago, Not Far Away aura marqué l’histoire de la SF par son audace systémique. Il fut l’ultime acte d’une inéluctable montée en ambition (et en provocation) depuis Foundation 02x06 Why The Gods Made Wine. Mais lorsqu’une série ose ainsi renverser la table, faire périr la plupart de ses héros, et remettre même en question sa raison d’être... elle a tout intérêt à avoir prévu de solides parachutes pour continuer à se développer sans contredire ce qui précède ni ridiculiser ses prétentions. Sans quoi, elle s’exposerait à sombrer dans la géhenne des pyramides de Ponzi, le cimetière de toutes les arnaques audiovisuelles.
Autant dire qu’après le choc infligé par Foundation 02x09 Long Ago, Not Far Away et le désarroi dans lequel ce pénultième épisode avait laissé les spectateurs, il serait euphémistique de dire que Foundation 02x10 Creation Myths était attendu au tournant.
Évidemment, la barre fut placée si haut qu’il aurait été bien utopique d’espérer que l’atterrissage soit totalement à la hauteur. Ce n’est pour ainsi dire jamais totalement le cas, y compris dans les SF de référence comme Babylon 5 (par exemple qui n’a pas éprouvé un sentiment de déception ou de frustration devant la façon pour le moins "naïve" dont la si ambitieuse problématique des Shadows fut "résolue" dans B5 04x06 Into The Fire ?). Arriver au sommet a toujours pour conséquence de devoir redescendre, fût-ce un minimum. Il faut donc rester "mesuré" en matière d’attente en pareil cas.
Alors quid de Foundation 02x10 Creation Myths ?
Eh bien, en dépit d’expectatives stratosphériques, force est de constater que cet épisode (temporairement) conclusif s’en sort raisonnablement bien, dans le sens où l’essentiel est sauf :
la cohérence internaliste n’a jamais été violée (ouf !), du moins si l’on accepte les hypothèses futuristes de départ et l’imprécision du background technologique dans cet univers ;
toutes les anticipations ou hypothèses les plus logiques de la critique exhaustive précédente se sont vérifiées (Tellem n’était pas vraiment morte et a continué à nuire, le cachot de Cleon XVI et de Rue devint leur tombeau car ils en savaient trop, le Vault TARDIS-like a discrètement sauvé tous les Terminusiens de la collision avec la singularité, Demerzel s’ouvre potentiellement à la psychohistoire via le Prime Radiant mais sans effets immédiats...), soit autant de symptômes de twists "naturels" et non pas capillotractés ;
aucun fil narratif n’est oublié ou négligé, chacun d’eux est tissé jusqu’à un dénouement, tantôt prometteur, tantôt tragique, souvent moralement incorrect : en d’autres termes, les spectateurs n’obtiennent pas forcément les développements qu’ils auraient voulu, beaucoup de "morts" se révèlent fausses tandis que certaines s’avèrent définitives parmi les VIP ;
le lien "quantique" avec l’œuvre littéraire d’Isaac Asimov a été préservé, ce qui se traduit par une histoire vraiment alternative aux romans (comme sise dans un monde parallèle), mais conservant néanmoins suffisamment de points d’invariance et d’homogénéité épistémologiques pour pouvoir être qualifiée d’asimovienne.
Malgré tout, ce final de la seconde saison aura eu recours à quelques "astuces" que d’aucuns pourraient estimer être des facilités... notamment lorsque le télisme externaliste transparaît dans le destin (ou la volition) des personnages et/ou que les auteurs jouent sur plusieurs tableaux à la fois.
En outre, certains choix diégétiques lourdement impactants ne seront pas du goût de tout le monde...
"Déception" serait probablement un qualificatif excessif pour désigner l’état d’esprit qu’induira cet opus ; mais "frustration" ou "réserves" pourraient éventuellement faire sens... selon les sensibilités de chacun.
L’articulation de ce final de la seconde saison est peu ou prou modelée sur celle de l’opus précédent, donc déployée autour de trois arcs (A, B+/D, et C1/C), en partie croisés.
A
(...)
B1/B2 ➜ D ➜ C
(...)
C1 ➜ C
(...)
Depuis Foundation 02x06 Why The Gods Made Wine très inclus, la série a choqué les audiences en faisant mourir un VIP du main cast presque à la fin de chaque épisode. Mais finalement, c’est à croire que les trois épisodes antérieurs avaient aussi pour fonction de préparer psychologiquement les spectateurs afin de les mithridatiser contre l’hécatombe (la Fondation entière !) qui allait suivre à la fin de Foundation 02x09 Long Ago, Not Far Away.
Seulement dans le même temps, tous ces décédés du main cast, non pas resuscitaient, mais se révélaient ne pas l’être véritablement (décédés) dans les épisodes suivants. C’est ainsi que Foundation 02x08 The Last Empress est venue démentir le trépas de Salvor dans Foundation 02x07 A Necessary Death, puis Foundation 02x09 Long Ago, Not Far Away en fit de même pour l’agonie d’e-Seldon #2 dans Foundation 02x06 Why The Gods Made Wine. Dès lors, fallait-il s’étonner que Foundation 02x10 Creation Myths démente finalement l’extermination des Terminusiens dans Foundation 02x09 Long Ago, Not Far Away ?
Oh ce procédé n’a rien d’inédit ni de scandaleux, et les plus grands s’y sont risqués (par exemple Conan Doyle…). Néanmoins, la seconde moitié de la deuxième saison de Foundation s‘est laissée aller à en faire un "système" diégétique : susciter des surprises maximales et des émois intenses chez les spectateurs (en "tuant" des personnages qui semblaient invulnérables par contrat) mais sans pour autant en subir les conséquences ensuite (notamment leur privation durable pour la série) en les faisant revenir presque comme si de rien n’était. N’est-ce pas une propension à la mystification des spectateurs voire à une forme de "triche" qui aurait davantage sa place dans un serial que dans une série de Hard-SF ?
Pourtant, il ne fait aucun doute que Foundation a pris la peine de parfaitement tout bétonner en internaliste : la fausse mort de Salvor qui s’inscrivait dans une torture mentale infligée par la télépathe Tellem, la fausse mort d’e-Seldon #2 qui était une illusion que Gaal avait réussi à imposer aux mentalistes en riposte (et pour sauver la vie de son mentor), la fausse mort des Terminusiens qui relevait d’un plan complexe d’e-Seldon #1 (à l’aide de la technologie disruptive du Sanctuaire) pour convaincre l’Empire galactique de la disparition de la Fondation (afin de lui faire gagner un temps de croissance/développement supplémentaire).
À dire vrai, ces justifications sont non seulement pertinentes (stratégiquement) et brillantes (narrativement), mais elles s’enracinent en outre comme jamais dans l’ADN littéraire du cycle littéraire de Foundation (débordant de plans complexes imbriquées les uns dans les autres).
Alors pourquoi ne pas se contenter d’être admiratif et de tirer son chapeau sans arrière-pensée ?
Eh bien parce que ces "fausses morts" (mais marquant le public autant que des vraies) a en réalité surtout eu pour objectif de "s’associer émotionnellement" aux huit vraies morts de VIP que prévoyait Foundation 02x10 Creation Myths : Salvor Hardin, Hober Mallow, Bel Riose, Rue Corintha, She-Bends-Light, Josiah… et même en quelque sorte Cleon XVI et Cleon XVII.
Évidemment, ces véritables décès sont courageux à l’échelle du récit, et ils ont en outre la légitimité de s’inscrire dans la source littéraire, puisqu’aussi marquants que furent ces personnages asimoviens (pour les trois premiers de la liste ci-dessus), ils ne dépassaient quasiment jamais le champ d’un roman ou d’une poignée de nouvelles, le cycle balayant des éons.
Mais dans la série, ce ballet mortifère participe d’une savante construction (au parfum de diversion "donnant le change") pour que la survie d’un noyau dur de VIP (Seldon, Gaal, les trois Cleon…) paraisse naturelle (et non scriptée par contrat)... puisqu’ils n’ont en quelque sorte pas échappé (quoique en sensation seulement) à l’hécatombe générale
Bah, il faut probablement accepter ce parti pris indissociable des contraintes d’adaptation d’une œuvre littéraire dépourvue de personnages durables (hormis R Daneel Olivaw). Mais il est presque comique de voir les efforts déployés par les showrunners pour que l’artifice ne se remarque pas trop en internaliste...
Reste malgré tout le potentiel préjudice narratif des disparitions de Salvor Hardin, de Bel Riose, et de Hober Mallow tant la caractérisation (et l’interprétation) de ces personnages fut particulièrement réussie dans la seconde saison. Leur potentiel était même tellement prégnant que leur disparition soudaine et "simultanée" laisse un sentiment de gâchis, voire de clôture de spectacle à la hâte, avec pour seul sourire du chat du Cheshire un sentiment de trop peu et de sous-exploitation.
La mort de Salvor est particulièrement emblématique de cette frustration, car si faire mourir une ex-Mary-Sue est incontestablement un geste d’écriture audacieux, sa manière de quitter la scène (faire instinctivement rempart de son corps pour protéger sa mère contre la vengeance de Tellem possédant le corps de Josiah) convoque un héroïsme assez cliché (qui aurait plutôt sa place dans American Horror Story).
Il est certes téméraire de s’être refusé à tout bidouillage proto-trekkien pour annuler/endiguer commodément le sabordage en cascade de la flotte et notamment du Shining Destiny... avec Bel Riose et Hober Mallow, désormais "frères d’armes" face à la mort.
Effectivement, quand ce plan a été mis en place (off screen) par e-Seldon #1 avec la complicité des Spacers et de Mallow, il n’était pas possible d’anticiper que Cleon XVII serait tué par expulsion dans l’espace (qui plus est au moyen de téléporteur quantique de roque) et que sa garde prétorienne ne lui resterait pas fidèle. De plus, les technologies de l’univers audiovisuel ultra-futuriste de Foundation n’ont pas assez d’ancienneté et de définition on screen pour autoriser une contestation sérieuse du réalisme de leur emploi (sur la seule base des réflexes sciences-fictionnels contemporains).
Toutefois, puisque les Spacers avaient accepté de rallier la Fondation, n’y avait-il pas mieux à faire stratégiquement que de provoquer l’autodestruction de toute la flotte de l’Empire ? N’est-ce pas un épouvantable gâchis de ressources humaines et matérielles, de talents aussi (lorsqu’on songe "simplement" à l’humaniste général Riose, à l’intrépide aventurier Hober Mallow, à la transhumaine She-Bends-Light…) ? A fortiori quand on sait que le propre ralliement (non suicidaire) en amont de Bel (son mari Glawen Curr ne demandait que ça) n’était fonction que du rapport de force (qui fut en réalité faussé).
Dans une perspective d’économie des vies humaines, le spectateur ne pourra que regretter qu’une alliance n’ait pas été ouvertement négociée avec e-Seldon #1 pour contrer ou contenir les pulsions génocidaires de Cleon XVII, en lieu et place de ces ententes secrètes séparées, de ces coups de théâtres irréversibles, de ces sacrifices collectifs.
Entre la technologie en apparence "magique" car "sortie du chapeau" (puisque totalement inconnue de l’Empire) du Sanctuaire-Arche de Noé (combinant la téléportation de masse et la multi-dimensionnalité d’un contenu plus vaste que le contenant), la surprise du double jeu des Spacers et de Mallow, et le timing très construit (pour ne pas dire préfabriqué) de ces dévoilements… il est permis de soupçonner ce final d’avoir privilégié le sensationnalisme au pragmatisme (par démagogie ?). Et par transitivité, il est peut-être regrettable que la série n’ait pas suivi pour le coup le "classicisme" des romans où la Fondation parvenait militairement à imposer un statu quo "multipolaire" à l’Empire (moins haut perché certes, mais plus raisonnable).
Autant la terrifiante vision du Mulet dans le Foundation 02x02 A Glimpse Of Darkness avait de la gueule et pouvait se défendre narrativement (et fut efficacement mise à profit durant la seconde saison), autant la scène finale de Foundation 02x10 Creation Myths laissant apparaître le Mulet (152 ans après) dans l’expectative de l’arrivée de Gaal n’a même pas l’honneur d’être un cliffhanger (qui de toute façon aurait été contreproductif vu la force intrinsèque de l’épisode).
Il s’agit en réalité d’un "sneak peek" à contremploi qui transforme une grande figure asimovienne supposée incarner l’imprévu... en Nemesis personnel de l’héroïne ! Est-ce à dire que la grammaire des super-vilains du MCU pointe son museau ? Difficile de ne pas songer à En Sabah Nur après le générique de X-Men : Days Of Future Past (2014) pour lancer X-Men Apocalypse (2016)...
Les dernières paroles si asimoviennes de feu Salvor avant de passer de vie à trépas sur Ignis (« Ma mort prouve que le futur n’est pas écrit ») aurait dû justement inciter les auteurs à la réserve et la pudeur pour la conclusion de la seconde saison, puisque l’avenir était redevenu incertain (à la manière de la fin de Terminator 2 : Judgment Day), donc à nouveau un espace vierge pour tous les imprévus seldoniens.
Alors sous prétexte que ces deux séries de SF sont produites par Apple et pratiquent des bonds temporels entre chaque saison (env. 150 ans vs. env. 10 ans), fallait-il vraiment que Foundation s’aligne sur For All Mankind quant aux teasers spectaculaires annonçant la saison suivante à la fin de la saison en cours ? La "captivité" des spectateurs ne résulte-t-elle pas davantage de la substance des développements que des effets d’annonces dans les dernières secondes ?
La fin de saison et les adieux à tant de personnages justifient évidemment — selon les codes seriephiliques usuels — que Foundation 02x10 Creation Myths multiplie les scènes d’auto-contemplation émotives, y compris durant les scènes de crime (par exemple avant que Demerzel n’assassine Cleon XVI, celui-ci l’étreint langoureusement et lui pardonne) — cette dernière configuration étant une originalité "transmorale" qui appartient évidemment en propre à Foundation (cf. e.g. Halima dans Foundation 01x08 The Missing Piece).
Il n’y a certes rien d’objectivement outrancier, aucune scène ne s’abime par elle-même dans la guimauve glucosée des soap operas. Cependant, l’effet de cumul distille une légère brise de pathos, de "feel good" et d’emphase qui tranche par contraste sur la froide radicalité (100% Hard SF) de l’épisode précédent, et même à dire vrai, des quatre épisodes précédents.
Ce n’est donc probablement pas un hasard que le sommet d’implacabilité Foundation 02x09 Long Ago, Not Far Away (un choc, un uppercut, une claque !) ait été signé de Jane Espenson tandis que le plus complaisant Foundation 02x10 Creation Myths (un matelas de saut en surpression ?) soit écrit par David S Goyer. Le second ne peut soutenir la comparaison avec le premier, rappelant à cette occasion à quel point l’émotion induite (cf. le cinéma de Stanley Kubrick) sera toujours plus forte et authentique que l’émotion exhibée.
Même si la construction de la saison fut un effort collectif et un travail collaboratif, et que le créateur de la série a fait de considérables progrès depuis la première année au contact de Jane Espenson (comme une certain Joss Whedon à partir de la troisième saison de Buffy The Vampire Slayer...), l’écart qualitatif entre le travail de la maître et celui de l’élève demeure encore patent.
(...) [Analyse détaillée à venir] (...)
Ces quelques réserves étant verbalisées, il n’en demeure pas moins que Foundation 02x10 Creation Myths demeure un final efficace par sa solidité internaliste, vertigineux par son millefeuille scénaristique, et fascinant par ses concepts de high SF.
De plus, dans un monde relativiste, il tiendrait du "chef d’œuvre" comparativement au final de la première année (Foundation 01x10 The Leap). Ce sont d’ailleurs davantage les moins bons opus que les meilleurs qui attestent d’une remondata. Or celle-ci aura été exceptionnelle durant cette seconde saison en grande partie grâce à la "script doctor" Jane Espenson. Ce qui autorise les plus grands espoirs pour la troisième année...
Sachant de quel mainstream, non de nullité (n’exagérons rien), mais de médiocrité (au sens premier) provient la série... le bilan de cette deuxième année est digne d’éloges, ses nombreux rattrapages en cohérence sont inespérés, et sa progression qualitative s’avère record.
Et n’en demandons pas trop d’un coup : à chaque saison suffit sa peine. Quelles que soient les éventuelles (petite) imperfections de l’exercice, l’expérience de Hard-SF demeurera mémorable (en immersion sensorielle comme en sémantique) pour quiconque l’aura suivie. D’autant plus qu’elle se caractérise par une discursivité et une dialectique foncièrement asimoviennes dans sa façon de convier les spectateurs à prendre part aux débats et aux conjectures, quant aux relations de causalité et aux lignes de forces, dans les zones d’ombres comme dans les points aveugles.
Cette dimension "participative" provient, non pas d’écritures bancales ou arnaqueuses appelant un SAV schizophrène de la part des fanboys, mais d’ouvertures délibérées stimulant l’imagination littéraire des passionnés et offrant des respirations intradiégétiques. Un paradigme qui s’inscrit bien dans l’ADN de la meilleure Hard-SF livresque où tout n’est pas servi sur un plateau au public.
Dès lors, les imperfections (≠ incohérences) — réelles ou apparentes — sont des invites créatives à la réflexion et à la discussion, et elles participent de la richesse d’exploration d’un univers vivant, ouvert, non totalitaire par une univocité d’interprétation.
Les nombreuses morts de VIP — trompeuses d’abord puis si tragiquement véridiques — ont beau s’inscrire dans une forme de déterminisme externaliste (détectables ou non selon les cas), ils participent de l’inauguration d’un format inédit en série TV : l’hybridation entre le feuilleton/serial et l’anthologie, mais à une échelle macro et non plus micro comme dans ST DS9 ou The X Files. En effet, ce ne sont pas des loners (ou au maximum de petits arcs d’une poignée d’épisodes contigus ou non) qui incrémentent éventuellement des fils rouges globaux, ce sont ici des saisons entières qui sont des stand alone envers eux-mêmes tout en formant les briques d’une chronologie multi-centenaire. Si les contraintes de fidélisation d’une adaptation audiovisuelle postulaient quelques personnages transcendant les époques au moyen de diverses astuces futuristes (cryogénisation, clonages, copie/transfert de conscience, cybernétique...), chaque ère — matérialisée par une saison distincte — met à l’honneur son lot de protagonistes majeurs mais enracinés dans leur temps, donc "naissant" et "mourant" en même temps que la saison. Cette construction est en fait un puissant écho du format anthologique de la source littéraire, composée d’une myriades de romans et de nouvelles autonomes offrant une succession d’instantanés-clefs in media res chronologiquement souvent éloignés les uns des autres... mais bâtissant néanmoins de façon pointilliste une vaste mosaïque par innovation incrémentale. Être parvenu ainsi à rendre justice aux découpages du cycle littéraire tout en respectant la sémiologie audiovisuelle tient du tour de force.
Et cette audace sans précédent est payante, car les personnages "saisonniers" auront été au moins aussi marquants que les personnages "éternels".
Par exemple, comment ne pas être émerveillé par l´originalité retrofuturiste de Bel Riose et par l’insouciance tragique d’Hober Mallow, puis par leur destin fatal jumelé par-delà une adversité de circonstances ? Comment ne pas être impressionné par le parcours de Salvor Hardin, Mary-Sue initiale se métamorphosant progressivement en figure complexe, et réaffirmant par sa mort le non-déterminisme de l’épistémologie asimovienne ? Comment ne pas être touché par le sort bien incertain (un exil pire que la mort ?) de Sareth, reine malgré elle du Cloud Dominion et victime sacrificielle de l’empire — elle y aura perdu toute sa famille et désormais sa conseillère Rue Corintha sans la moindre possibilité de justice ni même de vengeance.
Signe de caractérisations d’orfèvre, ces super-guests auront réussi à conquérir l’esprit et/ou le cœur du public en bien moins de dix épisodes. Nombreux furent donc les spectateurs meurtris voire éplorés par tous ces trépas, allégorisant l’éphémérité et la fragilité de la vie.
Dès lors, avoir le culot de faire disparaître ces "nouveaux" personnages au sommet de leur "emprise séductrice" sur le public est un acte profondément anti-démagogique, donc intrépide dans le paysage audiovisuel contemporain. Les showrunners ont osé sortir de leur zone de confort, ils ont pris des risques, ils se sont imposés un défi constant : repartir en partie à zéro chaque année, plutôt que profiter des acquis et vivre sur le capital. Passé les premières réactions de dépit ou de frustration, ce "choix de la difficulté" mérite d’être salué.
En outre, cette assomption voire exacerbation de la mortalité — comme sémiotique du relativisme individuel par rapport à la grande Histoire — contribue par un "effet bokeh diégétique" plutôt contrintuitif à exacerber la sensation de vastitude de l’univers de Fondation, étirant son horizon tant temporel que spatial bien au-delà des périmètres sériphiliques usuels.
Le Grand Œuvre d’Asimov se voit ainsi sublimé : sa construction unique est intelligemment transposée au format audiovisuel, tout en y gagnant un développement "character driven" (sans trop d’effets secondaires soapy) largement absent de l’œuvre littéraire tant celle-ci était quasi-exclusivement "story driven" (et "universe driven").
Certes, les veines de la série Foundation demeurent irriguées par la doxa contemporaine... mais les cycles littéraires du grand Isaac furent eux aussi influencés par l’épistémè d’hier ! Impossible d’y échapper totalement, car toute création ou recréation demeure le fruit de son temps, fût-ce à un niveau inconscient.
Mais en s’étant attaqué au monument de SF littéraire réputé le plus inadaptable de tous, et en ayant en grande partie relevé le défi par cette impressionnante seconde saison, quoique d’une manière foncièrement hétérodoxe — i.e. en recréant une histoire distincte et pourtant largement "true" à l’esprit et à la philosophie d’Asimov) —, la série produite par Apple propose en définitive une réflexion sur les limites même de l’exercice d’adaptation cross-médias.
Car le paradoxe est que si la Fondation audiovisuelle avait pris le parti de rester littéralement fidèle à la diégèse des romans (par un format strictement anthologique et en s’interdisant tout personnage récurrent) comme l’auraient instinctivement tant voulu les puristes [dont moi-même], l’expérience aurait possiblement été bien moins polarisante et troublante (au sens d’une "uncanny valley"). Parce que le plaisir d’assister à l’incarnation religieuse d’une liturgie n’aurait probablement pas compensé l’ennui (pour le connaisseur) d’un portage prévisible et finalement inutile du matériau littéraire se suffisant à lui-même (n’ayant donc besoin d’aucune adaptation pour exister et briller). A l’instar d’un remake qui peut tirer son éventuelle légitimité uniquement de sa différence (la part de créativité) par rapport à l’original, la redondance pouvant être en pareil cas davantage insultante que respectueuse.
Audit paradoxe largement insoluble, la série de David S Goyer & Josh Friedman — et désormais de Jane Espenson — aura donc répondu par une troisième voie inédite : ni ISO 1:1 ni changelin. Ce qui, à défaut de faire l’unanimité, est un cas de singularité. Donc un nexus, nourrissant et passionnant en essence...
La plupart des variables ont certes changé, mais l’équation asimovienne reste intacte : une Hard SF construisant des mythes sous la pesanteur de l’Histoire.
Même si son appréciation n’est pas forcément un gage d’objectivité, laissons gracieusement le mot de la fin à Robyn Asimov, la fille d’Isaac, impliquée non dans l’écriture ni le développement, mais dans la supervision de cette adaptation : « I really think [it] captures the essence of what happens in the books in the series without necessarily copying the book. (…) If my father had lived to see this, I think he would have been very, very impressed. My father would have loved to have seen the characters come to life. That’s something that was not in his wheelhouse per se. And I think this would have excited him. »
BANDE ANNONCE
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