Foundation : Critique 2.09 Long Ago, Not Far Away
FOUNDATION
Date de diffusion : 08/09/2023
Plateforme de diffusion : Apple TV+
Épisode : 2.09 Long Ago, Not Far Away
Réalisateur : Roxann Dawson
Scénaristes : Jane Espenson & Eric Carrasco
Interprètes : Jared Harris, Lee Pace, Lou Llobell, Leah Harvey, Laura Birn, Cassian Bilton, Terrence Mann, Nimrat Kaur
LA CRITIQUE YR
La seconde saison de Foundation aura été celle de toutes les audaces.
Non contente de réconcilier la série avec sa source littéraire (quoique dans une réalité intégralement parallèle), elle aura également réussi à résoudre ou corriger rétroactivement la plupart des incohérence de la première (Phara exceptée) sans en infliger de nouvelles, et à démystifier ses disciplines (la psychohistoire est bien un actuaire statistique non du precog magique) et ses personnages (exit tout deus ex machina et toute Mary-Sue) pour les rattacher à des paradigmes de SF (et non de fantasy).
La seconde moitié de la seconde saison a en outre osé sortir de sa zone de confort en exposant à la mort plusieurs de ses personnages principaux, si ce n’est effectivement, du moins subjectivement. Mais il s’agissait en réalité de galops d’essai en prévision de ce qu’allait être le cataclysmique neuvième (et pénultième) épisode de la saison. Si les fins de Foundation 02x06 Why The Gods Made Wine et Foundation 02x07 A Necessary Death avaient cueilli les spectateurs, alors Foundation 02x09 Long Ago, Not Far Away les fauchera en PLS.
Roxann Dawson qui avait déjà fait la démonstration de la maestria de sa mise en scène inter-diégétique dans Foundation 02x08 The Last Empress, revient pour cet épisode immédiatement consécutif écrit par Jane Espenson. Et cette fois, le cross-arcs B/C/D se taille la part du lion, même si l’histoire A reste cardinale et l’histoire C1 référentielle.
A
Sur Ignis, la résistance contre l’hyper-prédatrice Tellem se transforme en lutte primale pour la survie.
Hardin est bien parvenue à s’évader de sa "prison mentale", puis elle profite de l’indisponibilité télépathique de Bond (attachée à la même table que Dornick durant le transfert de conscience) pour perturber l’assemblée de mentalistes durant la "cérémonie" au moyen des trois capteurs encéphaliques (qui la retenaient précédemment captive). Salvor parvient à la faveur de cette diversion à libérer Gaal de ses entraves, in extremis car l’esprit de cette dernière avait déjà largement envahi par celui de Tellem, mais visiblement pas encore irréversiblement (grâce à la combinaison des disques encéphaliques et de quelques baffes bien senties).
Fuyant désespérément à travers les forêts d’Ignis, la mère et la fille trouveront refuge à bord de leur Beggar...
Hardin devra cependant affronter physiquement Loron qui la fragilisera psychologiquement en prenant l’apparence de feu Crast. Ce procédé pourrait même apparaître comme une facilité permettant de faire artificiellement durer l’affrontement, car chaque fois que Lorion "devient" Hugo, c’est comme un "déclic" (Milo Manara ?) qui transforme la redoutable bad ass en ado romantique spongieuse. Bien sûr, il n’y a là aucune incohérence, tout est bétonné en internaliste, d’autant que ce flottement sera largement rédimé par le courage rationnel et la force tempéramentale que révèlera Salvor lorsqu’elle videra l’oxygène du sas en laissant agoniser sous ses yeux (derrière la vitre) l’image d’Hugo lui hurlant de déchirants « je t’aime ».
Quant à Dornick, elle aura été précédée de Bond à bord du vaisseau ! Leur affrontement — notamment pour la possession du Prime Radiant — se transformera en duel mental qui fera notamment revivre à l’héroïne la vision traumatisante du Mulet et surtout les humiliations passées — quoique tweakée par Tellem — que son père biologique lui avait infligées sur Synnax. Pour mémoire, ce dernier était un fanatique de la Seer church vénérant le Sleeper et interdisant toute science. Signe du soin extrême de la série Foundation, ce sera Chris Jarman déjà entraperçu dans Foundation 01x01 The Emperor’s Peace et Foundation 01x05 Upon Awakening qui interprétera également ici Jarko, alors que son rôle est plus que mineur.
Mais cette fois, Gaal ne tombera dans aucun piège télépathique manipulatoire. Hélas, Tellem reprendra le dessus lorsque le duel basculera dans une confrontation physique et surtout télékinésique...
C’est alors que — coup de théâtre (au propre comme au figuré) — Hari Seldon (#2) surgira des entrailles du Beggar et assommera Bond par surprise et par derrière. Ce coup d’estocade se transformera même en mise à mort haineuse.
Manifestement, chaque protagoniste revient de loin, littéralement d’outre-tombe, et il n’est plus question de ménager ce système de prédation des corpss et des âmes.
Presque pour la première fois depuis le début de la saison (après Foundation 02x04 Where The Stars Are Scattered Thinly), l’arc A occupe un temps d’écran ramassé.
Pour autant, la construction du récit n’en est pas moins intense, quoique davantage axée sur l’action et la stratégie (décidant de la vie ou de la mort des protagonistes) que sur la discursivité et la réflexion. L’efficacité de traitement est évidemment optimale, notamment parce que les spectateurs restent suspendus à chaque décision (et surprise) individuelle qui présidera à l’existence (ou à l’inexistence) de la Seconde Fondation. Un enjeu qui invalide — selon le critère de réfutabilité de Karl Popper — une fois de plus l’absoluité de la psychohistoire, puisque dans le présent cas, le futur est totalement dépendant de quelques choix individuels (comme l’avait déclaré Hari lui-même lorsque Raych hésitait à le tuer sur le Deliverance).
Malgré tout, depuis que Foundation 02x08 The Last Empress a révélé que l’arc A de la seconde saison précède les événements des autres arcs, c’est-à-dire que les temporalités ou les timeframes sont distinct·e·s, la poursuite (comme si de rien n’était) d’une narration trop concomitante peut apparaître comme un poil incongrue, ou du moins arbitraire. A fortiori lorsque par exemple les scènes parallélisées des affrontements respectifs Salvor vs. Loron et Gaal vs. Tellem sont segmentées en plein milieu au profit de l’insertion de plusieurs scènes de l’arc B+, partageant certes le thème commun des confrontations vitales (Cleon XVII vs. e-Seldon #1 et flotte impériale vs. Invictus) mais néanmoins sans aucune synchronicité !
Peut-être aurait-il été plus équitable pour l’occasion de revenir à une articulation d’arcs totalement séparés, comme Foundation 01x03 The Mathematician’s Ghost (réalisé par Alex Graves) avait eu l’audace de le faire (à la manière de deux épisodes concaténés en un).
Néanmoins, l’affrontement entre Salvor et Loron représente cumulativement moins de deux minutes à l’écran, ce qui pourrait être considéré comme un peu trop bref étant donné le rapport de force au désavantage de l’héroïne (outre la fonction résolutive et rédemptrice de la scène). Dès lors, sa segmentation assortie d’insertions (induisant des effets de "retour" et de "perméabilité") ont pour but évident d’accroître la perception subjective de longueur et d’importance. Cette construction narrative et ce parti pris de montage privilégient donc la sensation à la réalité, ce qui reste "de bonne guerre" dans un vocabulaire sémiotique.
Fi ! Ce n’est de toute façon qu’un micro-détail de forme, méritant peut-être d’être signalé, mais pas comptabilisé pour autant dans l’appréciation générale.
Foundation 02x10 Creation Myths viendra certainement expliquer comment e-Seldon #2 est vivant alors qu’il avait été ostensiblement "tué" à la fin de Foundation 02x06 Why The Gods Made Wine. Mais après Salvor elle-même vivante dans Foundation 02x08 The Last Empress alors qu’elle avait été également "tuée" à la fin de Foundation 02x07 A Necessary Death, c’est la seconde fois que la saison recourt à cette triche diégétique (le beurre et l’argent du beurre ?) qui pourrait être un signe de facilité voire de médiocrité ailleurs. Mais heureusement, le solide internalisme de la série Foundation prodigue un capital justificatif imparable : Ignis est une Talos IV au centuple. Du coup, dans ce solipsisme ultime, rien ne peut être garanti, pas même la mort.
Maintenant que la gourou sociopathe et grande marionnettiste (Bond) est décédée (mais l’est-elle vraiment ?), une relation nouvelle pourra certainement être développée avec les réfugiés mentalistes d’Ignis... qui étaient probablement les victimes et les pantins de Tellem. Par surcroît, Gaal était supposée devenir leur leader 152 ans après (dans sa vision du futur de Foundation 02x02 A Glimpse Of Darkness).
Dans tous les cas, la voie vers la Seconde Fondation a été (ré)ouverte...
B1/B2 ➜ D ➜ C ➜ B
Mallow et Constant sont enfermés dans une cellule du croiseur impérial Shining Destiny. Tous deux s’étonnent de ne pas être morts, mais Bel Riose leur annonce que ce n’est pas à lui de les tuer. Il faut dire que ce dernier et son Fleet Supremus visitent les prisonniers avec respect, en bonne intelligence ; et curieusement, Hober ne se fait pas prier pour dévoiler au général la finalité et le mode d’emploi du "castling device" (en VO ou appareil de roque en VF) qu’il avait sur lui, à savoir un téléporteur quantique par permutation déjà utilisé dans Foundation 02x03 King And Commoner.
Toujours proche du point de bascule, les deux militaires s’étonnent des moyens technologiques dont dispose la Fondation et cherchent à comprendre l’assurance des Terminusiens à s’attaquer ainsi à l’Empire. En d’autres termes : "ces dissidents auraient-ils vraiment les moyens de leur politique ?".
Bel est quant à lui convaincu que l’Empire va inéluctablement s’effondrer, mais pas encore tout de suite. Confirmant à quel point cet homme de l’art si avisé converge avec Hari Seldon, modulo un écart de calendrier. Mais ledit écart est essentiel. Car malheureusement, les faits donneront raison au général (du moins semble-t-il)...
Le rapport de force aurait-il pu être différent si Riose avait changé de camp comme le désirait tant son mari ? Possible, mais incertain, car malgré la loyauté qu’inspire cet officier mythique, il n’est pas garanti que l’intégralité de la flotte réquisitionnée pour le blocus de Terminus l’aurait suivi...
Débarqué sur le Destiny en provenance de Trantor avec Demerzel et Verizof, Cleon XVII ordonne — via divers capteurs (notamment thermiques) — une analyse tactique des forces de la Fondation. Et apparemment, la puissance de défense de cette dernière se limite seulement au vaisseau Invictus en orbite (considéré comme une antiquité) et à une espèce d’église au sol.
Pas de quoi inquiéter l’empereur qui atterrit alors avec aplomb sur Terminus — comme en terrain conquis — pour exiger la reddition de la Fondation. Malgré la situation conflictuelle, le directeur Sermak est pourtant très accueillant, mais Brother Day ne lui offre que son mépris... et un Pol Verisov malmené, jeté à Terre comme une vulgaire verroterie. Sef tente bien de suivre le protocole en conduisant son "hôte" à la tour centrale de la colonie mais Cleon XVII n’a d’yeux que pour le "lieu de culte", stratégique s’il en est, et que le directeur accepte malgré tout de faire visiter à l’empereur.
Mais lorsqu’icelui exige de voir l’Encyclopédie galactique — finalité première de la Fondation durant ses années d’exil — Sermak est bien embarrassé de devoir admettre que ce projet a été abandonné au profit d’autres activités... dont la teneur se dévoile peu après à l’intérieur de "l’église" qui tient d’une usine de construction de technologies nouvelles, d’armements, et d’outils de propagande.
Alors afin de l’humilier publiquement devant les siens, l’empereur oblige le pauvre Verisof — malgré son état — à lui servir un échantillon en live de ses spectacles prosélytes au bénéfice de "l’église de Seldon"...
Loin d’être touché ou convaincu par cette impro malaisante, Brother Day décrète alors que la Fondation est une secte terroriste, puis il poignarde mortellement Sermak, décide l’exécution de tous les clercs/prêtres (mais cependant pas des scientifiques afin de faire main basse sur leurs travaux et leur savoir accumulé), et contacte Riose pour lui ordonner de neutraliser l’Invictus... en vertu, non d’un acte de guerre, mais d’une opération de police.
Enfin, détectant à l’horizon le "monument" en lévitation, l’empereur décide d’affronter e-Seldon #1 sans arme et sans aura... alors que le Vault est réputé disposer de son propre système de défense. L’ombre du fondateur de la psychohistoire l’attendait déjà à l’extérieur et le convie dans son Sanctuaire. Il s’efforce d’initier l’empereur et sa suivante Demerzel à son art en leur faisant cadeau du Prime Radiant et en leur dévoilant son fonctionnement.
Mais Cleon XVII s’en moque, estimant de toute façon que tout lui appartient. Il se targue surtout d’avoir déjoué, par ses décisions récentes, les prédictions de Hari. Toutefois, il consent dans sa "bonté" à laisser aux disciples la vie sauve SI leur "maître" admet publiquement que ses calculs étaient erronés et que l’empire n’est pas condamné. Mais e-Seldon #1 estime que rien de ce que prétend avoir fait l’empereur n’a changé la funeste issue, et il refuse "d’abjurer", non pas sa foi, mais les mathématiques. Alors Brother Day s’en va augustement en promettant (avec la plus grand naturel) l’extermination des Terminusiens, tandis que Demerzel emporte le Prime Radiant.
Et e-Seldon #1 laisse repartir l’empereur comme si de rien n’était ?! Alors qu’il avait assassiné le "Warden" Jaegger bien plus innocent que ne le sera jamais Cleon XVII ?!
En orbite, malgré une totale inexpérience au combat, le personnel de l’Invictus et une myriade de "whisper-ships" réussissent à tenir tête, du moins au départ, à toute la puissance de feu de la flotte de l’empire. Ces Fondationnistes sont désespérément touchants : au moyen des technologies qu’ils ont eux-mêmes développées tant bien que mal, ils sont partis se battre pour leur vie, la peur au ventre, et ils font du mieux qu’ils le peuvent, mais ils restent maladroits et gauches, si peu aguerris. Ils ne sont clairement pas à leur place : trop idéalistes, trop intellectuels, trop civilisés... pour une confrontation existentielle de cette violence.
Rien d’étonnant alors que l’expérience martiale sans égale du général Riose fasse in fine la différence sur le terrain (spatial). Ainsi que l’audace du Fleet Supremus qui, aux commandes d’un chasseur impérial, réussit une pénétration à haut risque des lignes ennemies, puis parvient à détruire les moteurs du vaisseau antique... condamnant ce dernier à être désormais à la complète merci du bon mauvais vouloir de l’empereur. Mais ce faisant, Glawen Curr endure un atterrissage forcé sur Terminus... auquel il survit malgré tout (tandis que le général le croit perdu).
L’arrivée de Cleon XVII sur Terminus initie ainsi un enchaînement tragique de ruptures paradigmatiques et de dialogues de sourds. Un siècle de développements sociologiques séparés aura généré un total déphasage entre les entendements de Trantor et de Terminus. Malgré les stratégies élaborées d’e-Seldon #1 — dignes de jeux de plateau ambitieux — et en dépit des diverses recherches scientifiques et industries de pointes de la Fondation, celle-ci semble être un placide herbivore face au carnivore ultime — taxon Tyrannosaurus rex — qu’est l’Empire galactique. C’est presque comme si la Norvège ou la Suisse contemporaines (modèles de démocraties participatives, égalitaires, et non-violentes dont même les militaires sont pacifistes et idéalistes) étaient soudain confrontées à l’implacabilité amorale de l’Empire romain (boosté aux technologies les plus récentes).
Chaque partie est restée dans sa logique propre, fidèle à elle-même pour le meilleur et pour le pire. Mais l’épisode a osé pousser l’expérience dans ses derniers retranchements, jusqu’au bout du possible, sans la moindre concession hollywoodienne (ni feel good ni politiquement correct). Du coup, devant le regard éberlué des spectateurs (même les plus aguerris), une mécanique causale d’horlogerie conduira à l’impensé et même à l’impensable : Cleon XVII ordonne à l’honorable Bel Riose de crasher l’Invictus sur Terminus City, en d’autres termes de déchiqueter la planète au moyen de la source de motorisation FTL de ce vaisseau antique, c’est-à-dire une singularité, en d’autres termes la plus destructrice des résultantes de la relativité générale !!!
La désagrégation en live de Terminus est visuellement saisissante, d’autant plus traumatique pour le spectateur qu’elle est enracinée dans le réalisme scientifique d’un trou noir entrant en collision directe avec une planète (au contraire de la très mauvaise fantasy de ST 2009).
La Fondation n’est plus, la plupart des héros sont morts, tout est fini ! Rideau.
Plus sérieusement, avec la néantification de Terminus et des principaux acteurs de la Fondation, c’est toute la raison d’être de la série qui semble avoir été éventrée... comme la planète elle-même !
Car ce sont bien les rares bâtisseurs idéalistes qui tranchaient sur cet univers profondément cynique (dystopique en réalité) — aussi bien les héros de l’ombre que les VIP (e-Seldon #1, Poly, Sef, et même Glawen) — qui auront été impitoyablement massacrés ! Comme si dans Star Trek, la planète-capitale de la Fédération et le siège de Starfleet avaient été envoyés dans le néant !
Que reste-t-il à présent des rêves des Terminusiens, de l’espérance dans l’alliance forgée avec les Outer Reach (Spires extrêmes), des "liturgies" (ou tours de magie) propitiatoires de l’église de l’esprit galactique, de la vie entière de dévotion et de questionnements métaphysiques de Verisof, du profond sens tragique (nietzschéen) du directeur crypto-vulcain Sermak, de l’inspiration libératrice d’e-Seldon #1 et de ses indéchiffrables plans enchâssés ? Tout cela ne pesait-il donc rien face aux armes de destruction massive de l’Empire ? Est-ce seulement la "raison" du plus fort et du plus meurtrier qui doit arithmétiquement toujours l’emporter à la fin, quitte à génocider tout le monde pour imposer un culte de la personnalité et une pax romana ?
La scène d’adieu entre Bel Riose (sous la pression extrême de l’empereur qui l’oblige à anéantir Terminus) et Glawen Curr (échoué sur Terminus et que son mari croyait mort) est emblématique de l’ampleur et de la complexité de cette tragédie. Au premier abord, ladite scène peut sembler délayée, soapy et violoneuse, telle une symétrie conclusive à leurs retrouvailles un peu exhibitionnistes dans Foundation 02x03 King And Commoner. Mais en réalité, cette séquence prend le temps de redoutablement dialectiser — par-delà les émotions déchirantes — le nœud de paradoxes auquel ne survit pas une once de manichéisme, et elle est en vérité empreinte de stoïcisme romain.
Car c’est ici un général humaniste partageant le diagnostic de la figure centrale de la série (Seldon) qui se voit contraint d’être le bras séculier d’un ordre génocidaire dont son Fleet Supremus sera la victime, tandis que c’est ce dernier — ayant pourtant toujours plaidé pour se rallier à la bienveillante Fondation — qui incitera son mari (lors d’un ultime échange désespéré) à tenir bon et à avoir le courage d’exécuter ces ordres criminels pour ne pas être remplacé par un tiers, et ainsi veiller dans l’avenir à toujours contenir la soif exterminatrice de l’empereur. Wow.
À situation foncièrement insoluble... réponse transcendant les standards hollywoodiens du sacrifice. Il y a ici cette sémantique non réductible de la "tragédie entre justes condamnés à agir de façon injuste" qui irrigue le cinéma classique nippon à l’ère d’Akira Kurosawa, d’Yasujirō Ozu et de Yasuzô Masumura (du bushidō au chanbara)... et parfois aussi la série Babylon 5 (via Londo Mollari au hasard).
Il est dès lors possible :
de rester tétanisé par la façon brutale, certes logique mais en même temps presque gratuite, dont cette tragédie cosmique a été amenée ;
de rester incrédule devant l’anéantissement de la dénomination même de la série (Fondation) alors que celle-ci n’en est pas à son coup d’essai en matière de "fausses morts" (Salvor puis e-Seldon #2) ;
de rester agacé par ce qui pourrait s’apparenter à une surenchère narrative à la fois dans la provocation, dans l’hécatombe, et dans la démonisation de Cleon XVII ;
de rester stupéfait par l’irresponsabilité du "gourou" e-Seldon #1 pour avoir entrainé les loyaux Fondationnistes dans une confrontation directe avec l’empire alors qu’ils n’étaient pas encore militairement de taille à y faire face ;
de rester perplexe devant la passivité du maître du Vault alors qu’il avait les moyens techniques de tuer l’empereur... venu à lui désarmé et sans son aura avant de mettre sa menace à exécution ; or Foundation 02x02 A Glimpse Of Darkness avait montré qu’e-Seldon #1 pouvait tuer n’importe qui au voisinage du Sanctuaire (Jaegger), probablement à la faveur de la dilation/compression temporelle de son écosystème ; ce qui aurait pu au minimum offrir un levier de négociation dès lors que les intentions génocidaires de l’empereur furent connue, au minimum en le retenant prisonnier le temps qu’un maximum de Terminusiens s’exilent au moyen de leur whisper-ships insensibles au blocus (puisque pouvant sauter en FLT depuis l’atmosphère) ; si dans une métaphore des échecs, il n’y a plus rien à gagner, autant tenter la métaphore du poker ;
de rester indigné par la criminelle inflexibilité du (faux ?) prophète qui, par refus de concéder quoi que ce soit au chantage impérial, aura plongé dans l’holocauste les derniers idéalistes de la galaxie qui lui faisaient une confiance aveugle et multigénérationnelle ; alors qu’en des temps moins éclairés, même Galileo Galilei avait cédé au cardinal Bellarmin et au pape Urbain VIII en faisant mine d’abjurer, alors que seule sa propre vie était en jeu (et non celles de centaines de milliers de disciples), et que cela n’a aucunement empêché la vérité scientifique de s’imposer à terme.
L’empathie envers le sort innommable réservé aux Terminusiens pourrait même déborder du champ internaliste et se transformer en dégoût externaliste envers la proposition seldonienne elle-même. Toute cette construction sophistiquée et cette partie d’échec (ou de jeu de go) à l’échelle galactique, tous ces plans insondables et ces prétentions indéchiffrables, toute cette philosophie techno-messianique et cette apparente omniscience... à quoi bon ? Puisqu’un seul mot de l’empereur aura suffi à réduire à néant toute cette dissidence.
E-Seldon #1 a exploité cyniquement la propension humaine à la foi, il a envoyé à travers la galaxie des missionnaires ou des émissaires sacrifiables, il est même allé agiter un chiffon rouge sous le nez de l’empereur pour s’assurer qu’il se lancera bien dans une grande croisade contre cette impudente Fondation qui ose défier sa toute-puissance et son exclusivité. Mais lorsque l’imperium a rappliqué, les Fondationnistes n’étaient pas prêts, sans expérience de combat. La seule flotte consistante se limitait à l’Invictus, c’est-à-dire exactement comme il y a 138 ans, et les whisper-ships n’infligeaient que des piqures de moustiques. Mais qu’ont donc fait la Fondation et ses nombreux alliés en matière de politique de défense durant ce presque siècle et demi ? Même l’alibi ou la "couverture" officiel·le de l’Encyclopédie galactique n’a pas été maintenue... tout au contraire de sa contrepartie littéraire qui avait su à la fois préserver les apparences et s’armer jusqu’à pouvoir matcher l’Empire.
Comment ne pas avoir l’impression de s’être fait mener en bateau et s’être fait arnaquer ? Remboursez !
Certes. Mais n’est-ce pas au fond la plus efficace des façons de faire ressentir aux spectateurs ce que les Fondationnistes ont eux-mêmes dû penser quelques secondes avant d’être exterminés. À savoir que tout ce qui donnait un sens et un but à leur vie depuis plusieurs générations n’était qu’une vaste escroquerie, comme le sont trop souvent les religions et les idéologies, avec leur cortège de marchands d’espoir.
Cependant, passé les sentiments violents que cette déflagration inspire, il appert que l’Histoire n’est pas terminée et que la réalité causale est rarement ce qu’elle semble être...
Et aussi légitimes — ou non — que soient ces saintes colères des spectateurs, aussi recevables — ou non — que soient ces éventuels bémols adressés à l’épisode (selon la perspective et la temporalité adoptées), cela ne change rien au fait que Foundation 02x09 Long Ago, Not Far Away est un coup de poing comme rarement la SF télévisuelle en aura osé ! Et malgré les apparences et la radicalité de son parti pris, sa cohérence n’est pas forcément prise en défaut... Elle pourrait même être renforcée comme jamais, selon la géométrie non euclidienne des œuvres à thèse.
Parce que Foundation est une œuvre intensément SF, très futuriste, très conceptuelle, avec des technologies disruptives et des stratégies inédites. Donc tout est virtuellement possible à ce stade. Aussi bien :
#1 les twists constructivistes comme à la fin The Hitchhiker’s Guide To The Galaxy de Douglas Adams/Garth Jennings (2005) ➜ improbable car trop peu Hard SF (donc contredisant l’esprit du cycle littéraire) ;
#2 les corrections temporelles rétroactives ➜ improbable car Isaac Asimov n’appréciait guère ce type de Ctrl+Z (donc contredisant également l’esprit du cycle littéraire) ;
#3 les illusions et les manipulations comme sur Ignis, par exemple Gaal et les Mentalistes auraient pu imprimer à distance une hallucination collective destinée à duper Cleon XVII et sa flotte ➜ improbable (malgré le léger déphasage temporel narratif) étant donné l’éloignement spatial de la future Seconde Fondation (pas même encore constituée) et son refus d’interférer (dans les romans) à l’ère de l’Empire galactique ➜ improbable également car ce serait un rattrapage "miraculeux" (non pas littéralement mais narrativement), tout en renforçant l’irresponsabilité d’e-Seldon #1 ;
#4 de la SF haut perchée selon la Troisième Loi de Clarke, par exemple le Sanctuaire qui aurait eu les moyens techniques de sauver la plupart — voire tous les — habitants de Terminus avant les ravages de la singularité ➜ très probable étant donné les capacités multidimensionnelles et TARDIS-like du Vault... auquel cas, e-Seldon #1 savait exactement ce qu’il faisait (il ne serait donc aucunement irresponsable) ;
#5 des causalités paradoxales typiquement asimoviennes du type victoire à la Pyrrhus (de l’empereur) "qui croit gagner à un instant t perd devant l’Histoire" ➜ très probable, du moins au sens de la psychohistoire ; et si la destruction de Terminus et/ou la mort de ses habitants est réelle (et non une illusion par exemple), cela ne signifie pas obligatoirement la mort définitive et absolue de la Première Fondation… car elle a essaimé bien au-delà de Terminus (une demi-douzaine de planètes).
L’autre argument qui favoriserait l’hypothèse du "worst case scenario" pour Terminus et/ou ses habitants, du moins en apparence, c’est la volonté de la seconde saison de toujours rester enracinée nodalement dans les romans malgré les grandes divergences événementielles.
Or dans les romans, Seldon n’était pas un personnage aussi "vivant" après sa mort que dans la série. Il avait certes laissé des hologrammes programmatiques mais pas vraiment des copies de sa conscience. Car Asimov était surtout intéressé par la façon dont les idées, notamment celles d’un visionnaire génial, pouvaient vivre (s’imposer et évoluer) après sa mort à travers la postérité (i.e. des générations de protagonistes différents). Ce qui plaide pour la disparition d’e-Seldon #1 et/ou pour une continuation de la Première Fondation et de la psychohistoire autrement et ailleurs.
De plus, dans les cycles littéraires, Demerzel (un homme) est le premier allié de Seldon, et un grand adepte de la psychohistoire (dont le caractère mathématique le séduit beaucoup en tant que robot), mais au nez et à la barbe des empereurs. Il serait donc cohérent qu’à partir d’un certain point de la série, l’Eto la série rejoigne (au moins sur le fond) les positions que son homologue littéraire masculin. Auquel cas, la tragédie de Foundation 02x09 Long Ago, Not Far Away serait l’élément déclencheur de cette "convergence", même s’il ne faut pas espérer que cela soit immédiat (et notamment pas dès Foundation 02x10 Creation Myths) étant donné que Demerzel est encore prisonnière de la fausse "Loi Zéro" de Cleon Ier (et s’en affranchir ne sera ni simple ni rapide)...
Alors peut-être fallait-il l’électrochoc de ce sacrifice collectif pour sonner le glas de l’Empire galactique, ou du moins l’accélérer...
Car l’obéissance arrachée par l’empereur au général Bel Riose, au mépris de la décence et de l’honneur qui lui importait tant (devoir massacrer essentiellement des civils), au mépris de la vie de son mari Glawen Curr (échoué sur Terminus et donc condamné à partager le sort des Terminusiens)... aura fatalement un prix. Et un prix élevé.
Car pour la première fois, Demerzel s’est officiellement désolidarisée de l’empereur ; elle l’a certes laissé perpétrer son "Armageddon récréatif" qui assouvit visiblement ses insatiables appétits de domination et d’humiliation (il fallait voir sa jouissance devant l’embrasement de Terminus), mais elle lui a asséné en retour avec sa lucidité et son implacabilité toute robotique qu’il était désormais perdu ! Sa réplique mémorable signe à n’en point douter un possible moment de basculement de la saison : « (...) comme souvent dans votre jeunesse, quand je tentais de rapiécer l’Empire qui se délitait. Vous avez grandi dans l’incertitude morale. J’espérais qu’en instaurant une intimité physique, j’aurais l’influence nécessaire pour corriger vos défauts, mais non. Je vous présente mes excuses pour ce que vous êtes devenu. C’est de ma faute. (...) Vous êtes un spermatozoïde qui prend sa motilité pour de la complexité. À présent, faites ce que vous voulez, il est trop tard pour vous. »
Mais pour toute réaction (surréaliste), Cleon XVII est totalement hors sol et ne comprend strictement rien au sens des paroles de Demerzel. Il est en réalité ravi de lui-même, en pleine contemplation devant sa personne, convaincu et fier de s’être métamorphosé et d’avoir tout changé... alors qu’il n’a encore jamais été autant lui-même. L’empereur est aussi certainement soulagé et extatique à l’idée d’avoir invalidé la prédiction funeste en éliminant "simplement" les prédicateurs ; mais tuer le messager n’a jamais fait disparaître le message et encore moins la réalité dont il témoignait... fors dans le tête des autruches.
Pour raccorder méta-diégétiquement la série aux romans, il est donc possible qu’Eto Demerzel prenne tôt ou tard le "relai" d’e-Seldon #1 (si celui-ci a vraiment disparu) ou s’allie à lui (si e-Seldon #1 a d’une façon ou d’une autre survécu).
Toujours est-il que si e-Seldon #1 a bel et bien anticipé que les événements prendraient cette tournure (via une extension salvatrice du Sanctuaire ou via un tiers successeur comme Demerzel), son obstination à ne rien abjurer (malgré le chantage létal de Cleon XVII) fait sens.
Évidemment, pour le spectateur contemporain épris de moraline, l’essentiel sera de savoir s’il a fallu (hypothèse #5) — ou non (hypothèse #4) — pour cela en passer par le cynisme d’une fin justifiant les moyens, c’est-à-dire un sacrifice cruel et immoral imposé à "son" peuple terminusien (quoique pas fondamentalement pire que tous les leaders de l’Histoire humaine ayant envoyé à la mort leur peuple en situation de guerre).
Mais dans un cas comme dans l’autre, à l’échelle de l’in-universe et de l’intérêt du plus grand nombre (une galaxie entière), seule importe la "big picture".
Or c’est au fond cela qu’implique véritablement la psychohistoire bien comprise : les mathématiques, les stratégies et les causalités qui la composent ne peuvent se mesurer sur une échelle axiologique.
C1 ➜ C
Dans les tréfonds oubliés du palais de Trantor, le fantôme holographique de Cleon Ier relatera à l’auditoire composé du vieux Cleon XVI et de Rue Corintha toute l’histoire du robot Demerzel...
Embastillée à jamais dans un état morcelé, réduite à une simple face bidimensionnelle (suite aux guerres robotiques évoquées dans Foundation 02x08 The Last Empress), c’est en relatant sa propre histoire au jeune fondateur de la dynastie génétique, puis en devenant progressivement sa confidente, sa conseillère, son phantasme, et finalement la dame secrète de ses nuits et de son cœur... qu’au terme d’une vie entière, elle finira par être physiquement reconstituée et libérée par un Cleon Ier devenu âgé et dépourvu de descendance... par fidélité envers Eto (alors qu’elle ne pouvait engendrer) !
Mais parce qu’elle fit preuve de gratitude envers son émancipateur, sa liberté véritable se limitera seulement à quelques modestes secondes... car aussitôt "reconstituée", l’empereur lui implantera par surprise et de force une nouvelle loi (impliquant notamment de "servir l’empire" et "d’aimer l’empereur") supplantant les Trois Lois asimoviennes. Elle sera alors condamnée à devenir malgré elle la véritable impératrice tandis que la dynastie génétique sera créée à son usage, pour une relation d’interdépendance mutuelle et éternelle.
Malheureusement, par la connaissance de l’histoire interdite qui présida à la genèse de la dynastie génétique, Cleon XVI et Rue Corintha en savent désormais trop. Alors, le fantôme holographique de Cleon Ier les enferme derrière un champ de force, dans le "cachot" même d’Eto il y a plus de six cent ans. Deviendra-t-il aussi leur tombeau ?
Cette chronique diachronique a beau être distincte de la chronologie du cycle littéraire, elle lui demeure pourtant étonnamment fidèle en esprit, à tel point que l’hypothèse R Daneel Olivaw n’est pas exclue (sans pour autant être confirmée à ce stade), puisque Demerzel révèle que durant ses 18 000 ans d’existence, elle porta d’autres noms (et peut-être même d’autres genres).
Voilà un flashback (arc C1) qui réédite l’exploit du récapitulatif de la vie de Hari Seldon (arc B1) dans Foundation 02x06 Why The Gods Made Wine. La même économie de moyens, la même facture exceptionnelle. Paroxystiquement SF, épistémologiquement asimovien, et pourtant foncièrement enraciné dans la psyché humaine, ce récit hautement original est à la fois d’une pureté désarmante et d’une perversion sadomasochiste.
C’est l’amour impossible entre un homme (aussi puissant que misérable) et une IA parfaite (non sans évoquer Her de Spike Jonze entre autres) qui conditionne tragiquement le destin d’une galaxie entière. C’est aussi un incroyable miroir Hard-SF du plus ancien recueil de contes, à savoir Les Mille et Une Nuits : Demerzel aura été une nouvelle Shéhérazade, mais au lieu de relater chaque nuit une nouvelle histoire — tantôt édifiante, tantôt cruelle, tantôt érotique — au sultan Shahriar pour sauver sa vie, elle la relatera à l’empereur Cleon Ier pour pouvoir ressusciter. Et de même, ses histoires seront toutes enchâssées et déterministes. Cleon Ier fut autant transformé que Shahriar au contact de la conteuse, mais lorsque Shéhérazade fut simplement épargnée, Demerzel succédera au souverain.
Ce secret d’alcôve est un pur chef d’œuvre qui s’abreuve aux sources de la fantasy sans sacrifier une once de son essence Hard SF. Un paradoxe tellement asimovien en substance...
Comme l’avait déjà si bien annoncé Foundation 02x08 The Last Empress, la fatalité des tragédies grecques antiques se retrouve portée ici à son pinacle, dans l’incapacité de Cleon XVII — et probablement des Cleon dans leur ensemble — à dépasser leur programmation (génétique ?) et à évoluer. Oh, Brother Day était parti de bonne foi sur Terminus, convaincu qu’il avait changé, autosatisfait à l’idée qu’il allait devenir aux yeux de l’univers "l’empereur ayant choisi la paix". Oui, il avait le désir sincère de ne pas refaire les erreurs de lui-même auparavant et de ses prédécesseurs alter ego durant des siècles.
Mais à peine après avoir atterri sur la planète mère de la Fondation (où il fut pourtant bien accueilli)... il laissera sur son passage un sillage sanglant ! La visite de "l’église" de Terminus City versera même dans le cauchemar du Caligula de Tinto Brass (1979). Puis, au premier désaccord (avec e-Seldon #1), Cleon XVII deviendra avec une gourmandise non dissimulée "l’empereur destructeur de mondes"... jouissant même extatiquement devant son bûcher cosmique.
Ainsi, quels que soient les efforts cleoniens ponctuels pour se racheter des conduites ou redorer leur blason, le paradigme de la domination verticale demeure le seul horizon conceptualisable par eux, leur unique manière d’exister et de survivre. Dès lors, le naturel génocidaire (re)vient au galop... Il est même désormais sans appel et au-delà de toute rédemption, car un Rubicon a été franchi. Comme si l’affranchissement du carcan de la dynastie génétique avait eu un effet "moralement" émancipateur à l’instar de l’épisode ST DS9 06x11 Waltz pour Gul Dukat : la possibilité de donner libre cours à tous ses penchants, la liberté de devenir enfin soi-même... pour le pire. Et le résultat est littéralement pandémoniaque (pour les autres).
Cleon XVII a eu beau reprocher à e-Seldon #1 de se faire passer pour un dieu auprès de ses disciples (une interprétation au demeurant sophistique permettant à Brother Day de se donner le beau rôle), la réalité est que le seul à se comporter réellement en dieu — qui plus est shivaïste — est Cleon XVII : « Now I am become Death, the Destroyer of Worlds ».
L’empereur n’est-il pas devenu l’incarnation vivante du plus célèbre apophtegme asimovien : « La violence est le dernier refuge de l’incompétence » ? Poly Verisof avait bien tenté de l’avertir dans Foundation 02x08 The Last Empress. Il semblait avoir compris... sur le coup. Hélas, un Cleon reste un Cleon sur la durée. Est-ce vraiment le fruit d’un innéisme rédhibitoire ? Ou bien est-ce le corollaire intrinsèque du pouvoir absolu qui jamais ne permet de grandir, qui invariablement s’abîme dans la psychopathie mégalomaniaque et le narcissisme pervers ?
Dans le cycle littéraire, le général Bel Riose avait certes infligé des dégâts à la Fondation... mais néanmoins pas au point d’anéantir sa planète-capitale, Terminus, au moyen d’un trou noir ! Et in fine, ladite Fondation littéraire avait démontré être capable de résister militairement à l’empire, obligeant ce dernier à cohabiter pour la première fois avec une puissance concurrente, somme toute pour une géopolitique multipolaire (si l’on use d’un langage contemporain à la mode orientale). Le lecteur d’Asimov s’imaginait donc naïvement que l’affrontement armé si peu craint par e-Seldon #1 — voire appelé non pas de ses vœux mais de sa stratégie — dans les épisodes précédents allait peu ou prou conduire à un équilibre ou à un statu quo semblable à celui des romans... du moins dans un premier temps.
Mais apparemment rien de tel dans la série ! Sa Seconde Crise est-elle vraiment le trépas collectif de la Première Fondation ? Serait-ce un échec (et mat ?) sur toute la ligne, au-delà même de l’imaginable ? L’empire est-il de loin le plus fort ?
Peut-être dans l’ordre des apparences et du courtermisme, mais gardons-nous de conclure prématurément à l’endroit d’une série qui a pleinement hérité d’Isaac Asimov sa profondeur stratégique, ses niveaux transdimensionnels et ses innombrables tiroirs narratifs.
En outre, il est établi depuis longtemps que Foundation emprunte une autre voie narrative que celle des romans (est-ce d’ailleurs un tort en soi ?).
Et il est également connu que tous les chemins mènent à Rome, du moins dans les adaptations respectueuses et cohérentes, quand bien même infidèles.
Sur la "planète des illusions" Talos IV, Salvor, Gaal, et même e-Seldon #2 ont réussi à survivre en dépit de trépas apparents (pour les autres mais probablement aussi pour eux-mêmes). Alors que chacun des trois protagonistes fut exposé au pire et que Tellem Bond aurait pu devenir un autre Mulet avec 152 ans d’avance, la Seconde Fondation est désormais sur la plateforme de lancement... non pas à Star’s End (comme dans les romans), mais sur Ignis.
Quant à Eto Demerzel, elle pourrait encore se révéler tôt ou tard R Daneel Olivaw (bravo à la série de n’avoir pas fermé cette porte). Son histoire aux curieux accents de Shéhérazade constitue un grand moment de la SF : elle échappa au Grand Pogrome robotique (cf. Foundation 02x07 A Necessary Death) par l’amour impossible qu’elle réussit à faire naître chez Cleon Ier. Mais de cet amour devenu mortifère, elle s’est retrouvée prisonnière — et l’Empire galactique avec — depuis plus de six siècles, lorsque le fondateur de la dynastie génétique a remplacé les Trois lois de robotique par une Loi Zéro détournée à son seul profit (comme anticipé dans les critiques précédentes).
Ainsi, sous l’égide du co-showrunning et des scernarii ciselés de Jane Espenson, la seconde saison de la série Foundation trouve un malin plaisir à emprunter les lignes de crête, à danser au bord des précipices, à ne jamais être là où on l’attend, à démystifier l’héroïsme et à n’épargner aucun personnage (tous faillibles et imparfaits), à prendre le contrepied des codes sériephiliques, à déranger le confort moral (ou intellectuel), à surprendre voire choquer aussi bien les néophytes de la dernière pluie que les fidèles des neiges d’antan.
Mais ce parti pris honore finalement davantage qu’il ne trahit, tout en se révélant insolent de créativité. Et pour ne rien gâter, il offre une mémorable expérience de Hard SF sur fonds mythologiques (et fabulistes).
Oui, Foundation 02x09 Long Ago, Not Far Away est un chef d’œuvre, osons le mot.
Il représente en outre l’adaptation alter-asimovienne parfaite.
Malgré tout, l’ultime juge diégétique de l’empire d’audaces de Foundation 02x09 Long Ago, Not Far Away sera Foundation 02x10 Creation Myths...
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